À ceux qui viendront

 
Oh ! pourquoi suis-je né dans la première aurore
D’un avenir que nul prophète n'a prédit,
Pour qu’en entrevoyant ce qui n’est pas encore,
Je trébuche à ce seuil que la lumière dore,
Et que la mort inévitable m’interdit !

O siècles, millions et millions d’années !
Pourquoi donc, arrêtant mon âme dans son vol,
M’avoir jeté parmi les mornes destinées
De ces races à tout ignorer condamnées,
Et que leur âge lie aux fanges de leur sol ?

Pourquoi sitôt tomber dans la tourmente humaine,
Quand, devant l’infini s’ouvrant comme un vaisseau,
L’intelligence hésite au bord de son domaine,
Quand la science neuve et qui s’éveille à peine
Vagit comme un enfant dans son humble berceau ?

Plus tard j’aurais vécu dans la cité future,
Dans le règne prévu du savoir à venir :
J’aurais été la voix qui formule et mesure
Les éléments de l’orbe où la vérité pure
Dans l’absolu du monde au monde ira s’unir.

Plus tard j’aurais vécu sans amour et sans haine,
Sans mépris pour des dieux qu’on n’adorera plus,
J’aurais, roi par l’esprit et la lyre hautaine,
Contemplateur serein de la nuit souterraine,
Eventré le tombeau des cycles révolus.

J’aurais, sur la misère immense de leur songe,
De l’équité promise allumé le flambeau,
Et pardonné, dans l'âme où ma justice plonge,
Sous les ténèbres d’or et de sang du mensonge,
À l'erreur qui fut grande, au rêve qui fut beau.

J’aurais, sur des passés qui ne sont pas encore,
Promené la lueur de ma pitié de feu ;
J’aurais, Prêtre lauré des cultes qu’on instaure,
Cherché, sur les autels dont l’encens s’évapore,
Celui qui de leurs dieux fut le moins loin de Dieu.

Et, dans ces jours d’horreur retrouvant quelque ancêtre,
Quêteur aux yeux ardents de l’éternel secret,
Réveillé sa pensée altière et fait, peut-être,
A ceux-là qui sont morts sans pouvoir se connaître,
L’aumône merveilleuse et grave d’un regret.

Humanité qu’un jour verra surgir de l’ombre,
Ainsi que le soleil hors de l’océan noir,
Et qui, du bloc géant de tes œuvres sans nombre,
Monteras vers un ciel que leur ruine encombre,
Toi qui pourras comprendre et qui pourras savoir,

Fleur des siècles sur les siècles épanouie,
Poètes qui serez les princes qui viendront,
Sages qui marcherez dans la gloire éblouie,
O confesseurs futurs d’une église inouïe,
Légions dont l’Esprit aura marqué le front !

Mon âme vous salue et ma chair vous envie
Et vous jette un appel que vous n’entendez pas,
Bienheureux qui dormez aux limbes de la vie,
Que des créations la ronde inassouvie
Laisse encor sommeiller loin du bruit de nos pas.

S’il nous est défendu de le deviner même,
Cet inconnu sacré qui s’ouvrira pour vous,
Et si la mort, dont vous résoudrez le problème,
Sépare nos destins de votre fin suprême,
O frères qui SAUREZ ! souvenez-vous de nous !

Collection: 
1885

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PAROLE DE SONGE

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Pour Madame Delarue-Mardrus.

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