La Crainte du réveil

TU sais la volupté qui prête au corps une âme,
L’ivresse du plaisir qui berce en exaltant ;
Tu distilles sur moi ce charme de la femme,
Qui dans la chair prend source et jusqu’à Dieu s’étend.

Ton profil noble et doux, tes limpides prunelles
Éveillent des pensers d’héroïsme et de bien,
Ton corps, dans tout l’éclat des formes éternelles,
Serait divinisé sur un autel païen.

Que je parle de gloire ou cherche une caresse ;
Que je sois anxieux d’un rhythme ou d’un baiser ;
Que je veuille un sourire ou que l’âme m’oppresse,
Tu m’offres des trésors où je n’ai qu’à puiser.

Mais surtout, à la fin des douces agonies,
Quand le regard revient dans l’œil à moitié clos,
J’ai senti, sur le bord de nos lèvres unies,
Ton cœur verser au mien d’ineffables sanglots.

Oh ! par tout ce bonheur, écoute ma prière.
Vois ! je tombe à genoux, je t’implore ardemment ;
Toi-même ne va point tout réduire en poussière,
Ne parle point d’amour, ne fais point de serment.

Ne dis pas que tu veux m’être fidèle et sûre,
Charme-moi sans te plaire à des mots superflus.
Si tu me les disais, connais-en la mesure,
Si tu me les disais, je ne te croirais plus.

Craignons les mots ! les mots sont les bourreaux des choses.
Dès qu’un enthousiasme auguste, un amour fort,
Éclairent quelque part nos ténèbres moroses,
Le mot rampe derrière, amuse et frappe à mort.

Craignons les mots ! les mots changeant, les mots sans nombre
Sont comme l’eau des lacs à l’entour des donjons,
Les léchant humblement, réfléchissant leur ombre,
Jusqu’au jour d’engloutir la pierre sous les joncs.

Lorsque l’effleurement de tes cheveux ressemble
Au frisson le plus doux des brises sur la mer,
Vers un même idéal quand nous volons ensemble,
Dans mon cœur qui renaît il n’est plus rien d’amer.

Ne me rappelle pas, en disant que tu m’aimes,
Qu’enivré seulement on peut croire à l’amour ;
En disant qu’à jamais nous resterons les mêmes,
Ne me rappelle pas qu’on peut n’aimer qu’un jour.

  

Collection: 
1856

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