Et j’ai connu l’Enfer intérieur de l’Homme,
La géante cité d’éternel désespoir,
Qui lève, dans un jour sans aurore et sans soir,
Son amoncellement de terrasses, que somme
Une mitre de tours, rouges sous le ciel noir,
L’inébranlable bloc dont la fatale assise,
Ainsi qu’une forêt prodigieuse, étreint
Le roc fondamental du monde souterrain,
Et les remparts de flamme, où la flamme s’attise
Des neuf fleuves cerclant son triple orbe d’airain.
Et c’est une fournaise écarlate, qu’embrase
D’éclats de pourpre vive et de lueurs de sang
Le flamboiement figé des palais, roidissant
Leurs murs de métal fauve où ruisselle et s’écrase
Le bronze en fusion dans l’or incandescent.
Là, parmi l’immobile et muet incendie,
Dans une salle ardente aux horribles piliers,
Réverbérant, en arcs éblouissants liés
A des plafonds de braise où l’éclair irradie,
Sur des dalles de feu leurs feux multipliés,
Le Maître ténébreux que son supplice sacre
De l’hostile splendeur des diamants royaux,
Sur son trône que garde un peuple de féaux,
Brûle, torche immortelle, ainsi qu’un simulacre
De chair incorruptible et de vivants joyaux.
La majesté de ses regards verse l’insulte
A la foule prostrée et monstrueusement
Fourmillante aux parois du morne monument,
Où sa gloire maudite, en lignes dures, sculpte
La triomphale horreur de son rayonnement
Le diadème igné ceint son front : sous la chape
De nitre bouillonnant, un cilice lépreux,
Enduit de poix liquide et d’éther sulfureux,
L’enveloppe... et jamais une plainte n’échappe
À l’impassible foi du divin Malheureux.
L’impérial manteau de douleur qui le drape
En plis de plomb fondu s’incruste sur ses reins..,
Mais c’est au pur mêlai des contours souverains
Que le lent balancier de l’Eternité frappe
La beauté de sa face et de ses traits sereins.
Devant la colossale et flambante effigie,
Comme une lave où des remous font ondoyer
Les fulgurations de son secret foyer,
Une silencieuse et lumineuse orgie
S’éploie eu nappe chaude aux pieds du Foudroyé.
Sous les voûtes au loin miroitantes, forgées
D’acier vermeil, mêlant, en un luxe d'émaux,
Des muffles d’hommes à des visages d’animaux,
Frondaison somptueuse aux grappes égorgées,
La vigne du massacre étend ses lourds rameaux.
Pendant que, submergeant les remparts et les crêtes,
La multitude, qui s’écroule par monceaux,
Bat, comme l’agonie aux profonds soubresauts
De quelque bête, dont les millions de têtes
Crèveraient un filet de piliers et d’arceaux.
La tempête du naphte emplit les avenues,
De ses flammèches d’or crible les toits squammeux,
Condense son averse en ruisseaux écumeux,
Et grésille, inondant des peuples aux chairs nues
D’une pluie inquiète et qui souffre comme eux.
Et l’immense nuée aux clartés de phosphore,
Dont l’orbe illuminé s’étoile en débordant,
Sphère sans orient comme sans occident,
Semble, d’un empyrée inaltérable, enclore
La cité de fer rouge et de basalte ardent.