L’Œuvre consolatrice

 
Qu’importe à ce vivant que je suis, et qui passe
Sous la stupidité lumineuse du ciel,
Le muet flamboiement des torches de l’espace
       Et la marche que rien ne lasse
D’un monde indifférent qu’on nous dit éternel ?

Qu’importe au créateur d’un univers qu’anime
Cette fixé splendeur dont le rythme est la voix,
L’incessant mouvement des forces de l’abîme,
       Et, sur cet astre qu’il opprime,
Le retour ordonné des causes et des lois ?

S’il est stoïquement resté le maître austère
De ce divin conseil qui siège sous son front,
Et s’il a, dans son âme où tombent pour se taire
       Les rumeurs vaines de la Terre,
Regardé, par delà les choses qui seront,

La mer des temps roulant les sables de l’histoire,
Et, quand le soleil mort ne sera qu’un tison,
Par delà les destins où sombre sa mémoire,
       Sur le suprême promontoire
Le Temple de son œuvre éclairant l’horizon ?

S’il a, dans la ténèbre où sa pensée essaime,
Forcé d’être un morceau du néant stupéfait,
Et contemplé, montant du profond de lui-même,
       De par sa volonté suprême,
Un rêve éblouissant que nul Dieu n’aurait fait ?

Collection: 
1885

More from Poet

  •  
    PAROLE DE SONGE

    O Foudroyé, tombé des gloires de tes cieux,
    Tentateur des parvis sans ombre, audacieux !
    Qui voulus reculer les limites du rêve,
    Et déplacer, d’un bras que tu savais mortel,
    Sur le sable inconnu de la dernière grève,
    Les piliers...

  •  
    O Toi dont nul mortel n’a soulevé les voiles,
    Dont nul porteur de Dieux, nul ravisseur d’étoiles
    N’a vu frémir encor la vierge nudité,
    Vers qui, du fond des temps, monte, jamais lassée,
    Par l’ouragan des jours, comme un aigle, bercée,
    Toute notre espérance...

  •  
    Pour Madame Delarue-Mardrus.

    Aujourd’hui notre terre est une nef, que guide
    L’équipage invisible et muet à la fois
    Des forces sans regards et des aveugles lois,
    Et que couvre une foule anxieuse et timide.

    Comme un...

  • Quand je m’endormirai sous la splendeur des astres,
    Mes strophes flamboieront auprès de mon cercueil ;
    Les torchères de fer de mon farouche orgueil
    Jetteront dans le vent la pourpre des désastres ;

    Et les aigles du Verbe, apaisant leur essor,
    Grouperont leurs...

  • Le désert est immense : une houle de pierres
    Vers le septentrion déferle en blanchissant,
    Et le jour acéré, qui brûle les paupières,
    Sur le roc calciné tombe resplendissant.

    C’est l’heure où le Touran, sol d’argile et de braise,
    Dans l’air mat où seul vibre un...