Il faudrait...

 
Ces Mots venus vers nous du fond de l’Invisible,

Il faudrait les creuser dans un métal terrible
Tailler au cœur du roc vierge, en plein bloc massif,
Leurs arêtes de grès et de diamant vif,
Et marteler, avec des morceaux de montagne,
Des clous pour tes fixer» aux murs du firmament,
Pour que l’éclat fatal de leur embrasement,
Dans la brume stupide où l'Humanité stagne,
Fit s’éclairer des fronts marbrés d'ombre et de feux
Sous les torches soudain flambantes des cheveux.

Ces Formes qui vers nous viennent du fond de l’Être,

Il faudrait les saisir avec des bras d’ancêtre,
Et puis, bêtes de songe ou bien larves d’enfer,
Les écraser du poing sur les vantaux de fer
De la nuit souterraine où nos pensers stoïques
Ont l’âpre désespoir des siècles pour chevet,
Et, dompteurs sans remords, après avoir lavé
Dans leur sang la blancheur des muscles héroïques,
Les écarteler, en témoins prodigieux,
Sur la herse aux crocs d’or qui nous barre les cieux.

Ces Espoirs revenus du plus loin de nous-même,

Il faudrait les broyer aux meules du blasphème,
Les lapider avec des collines, et puis
Les lier dans l’eau morte et ronge, dans le puits
Redoutable d’où rien jamais plus ne remonte,
Afin qu’enchevêtrant, avec d’horribles nœuds,

Sur leur agonie aux sursauts vertigineux,
Le granit des douleurs aux laves de la honte,
L’Homme sût que son libre orgueil a maçonné,
Dans l’ombre, cela dont sa chair a frissonné.

Tous ces noirs Inconnus qui traversent notre âme,

Il faudrait les courber sous des carcans de flamme,
Faire, dans l’immobile et servile repos,
Claquer leurs dents, crier leurs reins, craquer leurs os,
Pour qu’enchaînés vivants, par faisceaux tricéphales,
Aux clefs de voûte du silencieux éther,
Sous le faste étoilé des frises triomphales,
Leurs yeux fussent de bronze et leurs faces de fer.

Et nous pourrions, vêtus de tristesse splendide,
Seuls maîtres des palais par nos bras dépeuplés,
Seuls, mais enveloppés par la haine timide
Des captifs éblouis et des destins troublés,

Parmi les glaives droits et les fleurs délétères,
Dédaigneux de cette heure où, pour nous terrasser,
L’innombrable Mort tend ses rets dans nos artères,
Indifférents et doux, et sans regards, passer.

Collection: 
1885

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