Avenir

JE suis jeune, et pourtant je n’ai pas cette joie,
Ce rire épanoui du monde qui tournoie,
Ardent à tout festin.
Sans couronne est mon front, mon cœur sans espérance.
Avec incertitude, avec indifférence,
J’accomplis mon destin.

Un moment, j’ai rêvé de ces salles superbes
D’où montent pour l’artiste, en colossales gerbes,
Les bravos éclatants ;
Mais j’ai vu que chacun songeait à ses affaires,
Et qu’on n’écoutait plus la musique des sphères,
N’en ayant pas le temps ;

Que, loin de tous les miels que la terre distille,
Dans l’ombre, je devais m’exiler, inutile
Adorateur du beau,
Et que, si quelque fleur de pâle renommée
M’arrivait, cette fleur trop lentement formée
Serait pour mon tombeau.

Parfois des yeux d’ami, parfois des yeux de femme
Ont curieusement regardé dans mon âme ;
D’autres s’y pencheront.
Mais, parmi tous ces cœurs lancés dans le tumulte,
Lequel m’apercevrait terrassé par l’insulte,
Sans détourner le front ?

Oh ! je connais quelqu’un de fidèle et de tendre
Qui toujours m’a tendu, toujours viendra me tendre
Ses bras pour m’y presser,
Qui m’aime également glorieux ou sans palme,
Dont l’austère caresse, odeur pure, eau qui calme,
Pénètre sans blesser ;

Celle à qui mon honneur est plus cher que ma vie,
Qui de tout noble orgueil, de toute sainte envie
Sur mon cœur mit le sceau ;
La femme qui veilla sur mon enfance frêle,
Qui riva tout pour moi sans vouloir rien pour elle,
L’ange de mon berceau.

Mais nous ne mourrons pas au même instant ; peut-être
Me faudra-t-il, après les paroles du prêtre,
La vêtir du linceul,
Puis, lorsque j’aurai vu sa fosse qui s’éboule,
Rentrer, vêtu de noir, où s’agite la foule.
Alors je serai seul.

Alors je n’aurai plus une raison de vivre,
Je briserai ma plume et jetterai mon livre,
Des bourreaux tous les deux.
Alors, si je retrouve au fond d’un dernier songe,
La gloire, cet abîme, et l’amour, ce mensonge,
Je ne voudrai plus d’eux.

Alors, par une nuit odieusement douce,
Vers un abri charmant, plein de fleurs et de mousse,
Je porterai mes pas ;
Je lèverai les yeux vers le ciel implacable
Qui de désirs d’amour et de beauté m’accable,
Ne les exauçant pas ;

Puis, sûr de ne coûter à personne une larme,
Si, dans ma lâcheté, je n’ai pas peur d’une arme,
Je m’ouvrirai le cœur ;
Et, quand je serai mort, la nuit, toujours plus douce,
Versera sur les fleurs, versera sur la mousse
Son silence vainqueur.

  

Collection: 
1856

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