Une baraque de la foire

Oh ! qu’il était triste, au coin de la salle !
Comme il grelottait, l’homme au violon !
La baraque en planche était peu d’aplomb,
Et le vent soufflait dans la toile sale.

Des bourgeois blasés ― l’un d’eux s’en alla ! ―
Raillaient à plaisir ces vieilles sornettes,
Ainsi qu’il convient à des gens honnêtes
Qui sont revenus de ces choses-là !

Dans son ermitage, Antoine, en prière,
Se couvrait les yeux, sous son capuchon ;
Les diables dansaient ; ― le petit cochon
Passait, effaré, la torche au derrière.

Découvrant sa gorge, et portant, je croi,
Sur son carton peint, la mouche assassine,
En grand falbala venait Proserpine,
Comme une princesse à la cour d’un roi.

Tout l’enfer sautait au bout des ficelles.
— Dieu l’avait permis, très-évidemment ! ―
Puis ce fut le tour du bleu firmament
Avec ses pétards et ses étincelles.

Le soleil tournait, plein de vérité
Chaque trou d’étoile était à sa place,
Des anges bouffis flottaient dans l’espace,
Pendus au plafond pour l’éternité.

— Oh ! qu’il était triste ! oh ! qu’il était pâle !…
Oh ! L’archet damné raclant sans espoir !
Oh ! Le paletot plus sinistre à voir
Sous les transparents aux lueurs d’opale !

Comme un chœur antique au sujet mêlé,
Il fallait répondre aux péripéties,
Et quitter soudain, pour des facéties,
Le libre juron, tout bas grommelé !…

Il fallait chanter ! Il fallait poursuivre
Pour le pain du jour, la pipe du soir,
Pour le dur grabat dans le grenier noir,
Pour l’ambition d’être homme et de vivre !

Mais parfois, dans l’ombre ― et c’était son droit ! ―
Il lançait, lui pauvre et transi dans l’âme,
Un regard farouche aux pantins du drame
Qui reluisaient d’or et n’avaient pas froid.

Puis ― comme un rêveur dégagé des choses ―
Sachant que tout passe et que tout est vain,
Sans respect du monde, il chauffait sa main
Au rayonnement des apothéoses !…

Novembre 1867.

Collection: 
1872

More from Poet

  • Quand, sur le grand taureau, tu fendais les flots bleus,
    Vierge phénicienne, Europe toujours belle,
    La mer, soumise au Dieu, baisait ton pied rebelle,
    Le vent n'osait qu'à peine effleurer tes cheveux !

    Un amant plus farouche, un monstre au cou nerveux
    T'emporte,...

  • Ce n'est pas le vent seul, quand montent les marées,
    Qui se lamente ainsi dans les goémons verts,
    C'est l'éternel sanglot des races éplorées !
    C'est la plainte de l'homme englouti sous les mers.

    Ces débris ont vécu dans la lumière blonde ;
    Avant toi, sur la terre...

  • (Song-Tchi-Ouen)

    Le vent avait chassé la pluie aux larges gouttes,
    Le soleil s'étalait, radieux, dans les airs,
    Et les bois, secouant la fraîcheur de leurs voûtes,
    Semblaient, par les vallons, plus touffus et plus verts !

    Je montai jusqu'au temple accroché sur l'...

  • Le long du fleuve jaune, on ferait bien des lieues,
    Avant de rencontrer un mandarin pareil.
    Il fume l'opium, au coucher du soleil,
    Sur sa porte en treillis, dans sa pipe à fleurs bleues.

    D'un tissu bigarré son corps est revêtu ;
    Son soulier brodé d'or semble un...

  • Savez-vous pas quelque douce retraite,
    Au fond des bois, un lac au flot vermeil,
    Où des palmiers la grande feuille arrête
    Les bruits du monde et les traits du soleil
    - Oh ! je voudrais, loin de nos vieilles villes,
    Par la savane aux ondoyants cheveux,
    Suivre,...