« Quand vous m’avez quitté »

 

Quand vous m’avez quitté, boudeuse et mutinée
Secouant mes baisers, comme un arbre ses fleurs,
Je restai seul, debout, près de la cheminée,
Me forçant au sourire, et me sentant des pleurs.

C’était le premier doute et le premier nuage
Dans ce beau ciel d’amour qu’un souffle peut ternir,
Et me croyant bien fort, et me posant en sage,
J’avais raillé vos saints que j’aurais dû bénir ;

À vos preuves de Dieu, mon oreille était sourde,
Je heurtais votre foi d’un sarcasme moqueur...
L’homme est lâche et brutal, l’homme a la main trop lourde
Pour toucher à votre aile, ô croyances du cœur !

Pardon, j’en suis puni plus qu’on ne saurait dire.
J’ai vu jaillir l’éclair de vos grands yeux si doux ;
Pour garder ma raison, j’ai perdu maint sourire,
Ah ! montrez-moi l’autel, que j’y tombe à genoux !

Votre loi ? j’y consens ! Votre Dieu ? je l’adore !
À vos saints préférés j’offre mes encensoirs,
Même on vous passera, pour deux baisers encore,
Vos dominicains blancs et vos jésuites noirs.

Dans votre amour profond, je vais creuser ma grotte,
Et, loin des bruits du monde, entre vos bras de lait,
L’ermite, chaque jour, de sa lèvre dévote,
Sur l’émail de vos dents dira son chapelet.

J’irais, prêtre docile à toute fantaisie,
Avec le gui du chêne ou la tiare d’or,
Du Teutatès de Gaule au Bhagavat d’Asie,
Des cabires persans aux dieux glacés du Nord.

Que s’il vous fait plaisir d’être mahométane,
Allah !... de Mahomet j’espère les sept deux.
Si vous aimez Brahma, je serai le brahmane.
Mon culte est ta croyance, et mes dieux sont tes dieux !

Collection: 
1841

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