Un duo

 
La nuit d’hiver déjà descend…
La neige tombe fine et drue,
Et sous ses flocons le passant
Semble un spectre blanc dans la rue.

Mais la bise se tait pourtant,
Et, sous la lumière électrique,
Dont le vif reflet miroitant
Fait flamboyer les murs de brique,

Une troupe d’enfants flâneurs
Écoute, charmée, ébahie,
Les accords qu’aux gais promeneurs
Jette un orgue de Barbarie.

Ces sons, plus ou moins argentins,
Sont vendus sous les cieux sans lune
Par deux pauvres Napolitains :
Un beau blond, une belle brune.

Le mari, l’air fier, résolu,
Tourne, distrait, la manivelle
Du vieil orgue d’où sort moulu
Le grain d’or de la tarentelle.
 
Et l’épouse, en quêtant les sous,
Lève un œil noir si plein de flammes,
Qu’elle met sens dessus dessous
Le cœur des hommes et des… femmes.

Elle amène au moulin de l’eau
Avec son patois qui roucoule,
Et la recette, au trémolo
De l’orgue essoufflé coule, coule.

Et, pendant que l’Italien
Dévide des sons dans la neige
Qui couvre en tombant tout son bien,
Il songe au pays du Corrège.

Il songe aux marbres, aux saphirs
Reflétant les feux du Vésuve,
Et l’essaim des vieux souvenirs
Verse dans son cœur son effluve.

Il rêve… Dans un lointain clair
Apparaît pour lui l’Italie
Le front ceint d’un bandeau d’éclair,
Et sa main quelquefois s’oublie.

L’esprit plongé dans l’infini,
Il voit Naples, Rome et Venise,
Et ses amis, Iazaroni
Couchés sous un soleil qui grise.
 
Il voit un ciel étincelant
Embraser le golfe de Gênes,
Où le soir le flot indolent
S’endort aux refrains des sirènes.

Il entend des chants familiers
Sur les lagunes que sillonnent
En tous sens les bruns gondoliers,
Et ses membres souvent frissonnent.

Il rêve, morose, abattu,
Le poing appuyé sur la hanche ;
Il rêve, et l’instrument s’est tu ;
Il rêve, et sa tête se penche.

Et, quand un oisif fait de l’œil
A la sémillante quêteuse,
Au lieu d’en prendre de l’orgueil,
Elle en est chagrine, honteuse.

Au lieu de sourire gaîment,
Quand parfois quelqu’un la taquine,
Elle cache son front charmant
De son châle ou de sa basquine.

Au lieu d’avoir un air joyeux
Lorsque le cuivre à flots lui tombe,
Elle a des larmes dans les yeux,
Elle est morne comme la tombe.
 
Car elle songe qu’au départ,
Le matin, toujours elle laisse
Son enfant aux bras du hasard,
Ce vieux nourricier sans caresse.

Collection: 
1904

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