À l’honorable M. A.-R. Angers
ancien gouverneur de la province de Québec
Voilé par un bosquet, loin de tout œil profane,
C’est l’asile du rêve et du recueillement.
Que le printemps éclose, ou que l’été se fane,
Seul, par moments, le bruit du fleuve diaphane
Rompt le calme embaumé de cet endroit charmant.
Seuls, les oiseaux, cachés sous les branches pensives,
Réveillent, au matin, ses hôtes vénérés ;
Et là, dans le fouillis des frondaisons massives,
Les parfums et les chants ont des fraîcheurs si vives,
Que tous les cœurs en sont émus et pénétrés.
Tout autour du palais, comme des sentinelles
Qui veillent sur les eaux du fleuve séduisant,
Des pins géants, tout pleins de bruissements d’ailes,
Bercent indolemment leurs têtes solennelles
Sur des sentiers sablés partout s’entre-croisant.
Des gazons veloutés tapissent la terrasse ;
Maint parterre odorant sert à l’enguirlander ;
La toiture au soleil luit comme une cuirasse ;
Et de la véranda coquette l’on embrasse
Le plus vaste horizon que l’œil puisse sonder.
Quand l’aube vient darder ses flèches de lumière
À travers les réseaux du bocage qui dort,
Avec tous ses parfums et ses feux la clairière
Enroule autour des pins à l’épaisse crinière
Comme un voile d’encens frangé de reflets d’or.
Et puis, si le couchant tout à coup incendie
Les grands arbres, les fleurs, le gazon, le lichen,
Ce lieu, qui jusqu’aux flots empourprés s’irradie,
Pendant que mille oiseaux disent leur mélodie,
Semble aux yeux éblouis un fragment de l’Éden.
Quelquefois des massifs, où jasent les mésanges,
S’élèvent de longs cris rieurs et triomphants…
Comme à ce paradis il a fallu des anges,
Sous les rameaux ombreux entrelaçant leurs franges
On voit s’ébattre alors de radieux enfants.
Non, nul autre séjour où notre œil s’extasie
N’eût avec plus de calme et de grâce abrité
Ceux qui, passionnés pour toute poésie,
Gardent au plus profond de leur âme choisie
Le culte de l’honneur et de la loyauté.