Soir d’été

Amis, je veux me perdre au fond du bois sonore.
La lune des sentiers argente le gazon ;
Et, comme dans la coupe un vin qui s’évapore,
Déjà monte la brume aux bords de l’horizon.
La bruyante cité, près du fleuve étendue,
Allonge ses grands ponts comme des bras sur l’eau.
Tout soupire et s’endort ; et, là-bas sous la nue,
Vénus en souriant agite son flambeau.
Oh ! Laissez-moi bondir, moi dont l’âme est brisée,
Sous ces feuillages verts où palpitent les nids !

J’aime dans mes cheveux des gouttes de rosée
Et tout autour de moi l’odeur des foins jaunis !

Qui de nous, qui de nous n’a gardé dans son âme,
Chaste et dernier trésor du cœur désenchanté,
Le reflet d’un beau soir et le nom d’une femme,
Un amour à vingt ans par une nuit d’été ?
Ne vous souvient-il pas qu’elle était jeune et belle,
Que son collier sonnait sur son col onduleux,
Que l’écharpe à son dos frissonnait comme une aile,
Et que de longs cils noirs ombrageaient ses yeux bleus ?
Ne vous souvient-il pas qu’en montant les collines,
Sa main sur votre main doucement s’appuyait,
Et que son sein tremblait sous les dentelles fines
Comme un oiseau farouche en son nid inquiet ?
Ne vous souvient-il pas des marguerites blanches,
Oracles odorants effeuillés sous vos doigts,
Et des merles malins qui, blottis sous les branches,
Au bruit de vos baisers s’éveillaient dans les bois ?
Oh ! N’entendez-vous pas, quand tout dort sous la nue,
De sa voix près de vous frémir encor le son ?…
Elle vient, elle vient par la longue avenue,
Et l’écho du rocher répète sa chanson.
Sur le noir de la nuit, sa robe se détache ;

Incertaine, elle écoute et se penche en rêvant ;
Et son front, tour à tour, se dévoile ou se cache
Sous ses cheveux épars que soulève le vent.
Regardez : c’est l’amour, c’est l’espoir, c’est la vie !
C’est le bonheur réel loin de vous emporté,
C’est la blonde jeunesse et tout ce qu’on envie
Vous souriant encor dans un rêve enchanté.
C’est ce qu’apporte à ceux qui dorment sous la terre
Le souffle des forêts, des ondes et des fleurs,
Ce que l’oiseau gazouille au cyprès solitaire,
Ce que l’essaim bourdonne au pied du saule en pleurs ;
Oh ! Ce qui fait parfois que, sous la lune sombre,
Des antiques linceuls s’agitent les lambeaux,
Et que les morts jaloux vont soulevant dans l’ombre,
De leurs bras décharnés, la pierre des tombeaux.

Collection: 
1872

More from Poet

  • Quand, sur le grand taureau, tu fendais les flots bleus,
    Vierge phénicienne, Europe toujours belle,
    La mer, soumise au Dieu, baisait ton pied rebelle,
    Le vent n'osait qu'à peine effleurer tes cheveux !

    Un amant plus farouche, un monstre au cou nerveux
    T'emporte,...

  • Ce n'est pas le vent seul, quand montent les marées,
    Qui se lamente ainsi dans les goémons verts,
    C'est l'éternel sanglot des races éplorées !
    C'est la plainte de l'homme englouti sous les mers.

    Ces débris ont vécu dans la lumière blonde ;
    Avant toi, sur la terre...

  • (Song-Tchi-Ouen)

    Le vent avait chassé la pluie aux larges gouttes,
    Le soleil s'étalait, radieux, dans les airs,
    Et les bois, secouant la fraîcheur de leurs voûtes,
    Semblaient, par les vallons, plus touffus et plus verts !

    Je montai jusqu'au temple accroché sur l'...

  • Le long du fleuve jaune, on ferait bien des lieues,
    Avant de rencontrer un mandarin pareil.
    Il fume l'opium, au coucher du soleil,
    Sur sa porte en treillis, dans sa pipe à fleurs bleues.

    D'un tissu bigarré son corps est revêtu ;
    Son soulier brodé d'or semble un...

  • Savez-vous pas quelque douce retraite,
    Au fond des bois, un lac au flot vermeil,
    Où des palmiers la grande feuille arrête
    Les bruits du monde et les traits du soleil
    - Oh ! je voudrais, loin de nos vieilles villes,
    Par la savane aux ondoyants cheveux,
    Suivre,...