• Je suis étendu dans la boue,
    Incapable de faire un pas ;
    Il viendrait la plus lourde roue
    Que je ne me bougerais pas.

    Contre un poteau mon front s’appuie ;
    En haut un homme est empalé.
    Mordant mes haillons, une truie
    Pousse un grognement désolé.

    De l’eau tombe, froide et gluante,
    D’un ciel noir comme le remords ;
    Une vermine...

  • Dernier rameau d’un tronc pourri,
    Dernier feuillet d’un vilain livre,
    Dernière injure, dernier cri
    Que poussera l’univers ivre ;

    Toi qui baisseras le rideau,
    Dernier acteur du noir théâtre,
    Dernier torturé du bourreau,
    Dernier enfant de la marâtre ;

    Toi qui viendras au dernier rang
    Dans la procession humaine,
    Désespéré, sombre et...

  • Mon âme vers ton front où rêve, ô calme sœur,
    Un automne jonché de taches de rousseur,
    Et vers le ciel errant de ton œil angélique,

    Monte, comme dans un jardin mélancolique,
    Fidèle, un blanc jet d’eau soupire vers l’Azur !
    — Vers l’Azur attendri d’octobre pâle et pur
    Qui mire aux grands bassins sa langueur infinie,
    Et laisse, sur l’eau morte où la...

  • Les petits ifs du cimetière
    Frémissent au vent hiémal,
    Dans la glaciale lumière.

    Avec des bruits sourds qui font mal,
    Les croix de bois des tombes neuves
    Vibrent sur un ton anormal.

    Silencieux comme des fleuves,
    Mais gros de pleurs comme eux de flots,
    Les fils, les mères et les veuves

    Par les détours du triste enclos
    S’écoulent, —...

  • J’ai traversé deux fois le pays de Rembrandt,
    Pays de matelots — qui flotte et qui navigue, —
    Où le fier Océan gémit contre la digue,
    Où le Rhin dispersé n’est plus même un torrent.

    La prairie est touffue et l’horizon est grand ;
    Le Créateur ici fut comme ailleurs prodigue…
    — Le lointain uniforme à la fois nous fatigue,
    Mais toujours ce pays m’attire...

  • Comme un poison subtil redoutons la pensée.
    Moi, si j’avais vingt fils, ils auraient vingt chevaux
    Qui, sous les grands soleils ou la bise glacée,

    Les emportant joyeux, et par monts et par vaux,
    Devanceraient la flèche et l’oiseau dans leurs courses :
    Ils n’entendraient jamais parler de leurs cerveaux ;

    La matière partout leur créerait des ressources,...

  • La pierre était triste, en songeant au chêne
    Qui libre et puissant croît au grand soleil,
    Du haut des rochers regarde la plaine,
    Et frissonne et rit quand l’air est vermeil.

    Le chêne était triste, en songeant aux bêtes
    Qu’il voyait courir sous l’ombre des bois,
    Aux cerfs bondissants et dressant leurs têtes,
    Et jetant au ciel des éclats de voix.

    ...
  • Le soleil, sur le sable, ô lutteuse endormie,
    Pour l’or de tes cheveux chauffe un bain langoureux,
    Et, consumant l’encens sur ta joue ennemie,
    Il mêle avec les pleurs un breuvage amoureux.

    De ce blanc Flamboiement l’immuable accalmie
    T’a fait dire, attristée, ô mes baisers peureux,
    « Nous ne serons jamais une seule momie
    Sous l’antique désert et les...

  • Un fou disait : Venez, ce soir
    Le vent souffle, le ciel est noir…
    Dieu, dans sa grandeur, est sans voiles.
    Aux sons du fifre de l’hiver
    Et des flots sonnants de la mer,
    Venez voir danser les étoiles.

    J’ai l’âme d’or, le cœur d’argent,
    Mais l’habit d’un homme indigent.
    Hélas ! je n’ai plus de toilettes !
    Quel gouvernail que votre nez !...

  • Oui, certes, la matière était splendide et pure
    Dans laquelle les doigts de la grande Nature
    Ont avec tant d’amour ciselé sa beauté ;
    Et rien n’est glorieux comme cette fierté
    Tranquille, dont l’ampleur souple et majestueuse
    Revêt nonchalamment sa grâce fastueuse.
    J’aime son front de marbre impassible, et son œil
    Où rayonne le froid soleil de son...