Le Parnasse contemporain/1866/Terza rima

Comme un poison subtil redoutons la pensée.
Moi, si j’avais vingt fils, ils auraient vingt chevaux
Qui, sous les grands soleils ou la bise glacée,

Les emportant joyeux, et par monts et par vaux,
Devanceraient la flèche et l’oiseau dans leurs courses :
Ils n’entendraient jamais parler de leurs cerveaux ;

La matière partout leur créerait des ressources,
Tout leur serait festin ; leur soif à tous moments
Boirait le Malvoisie ou l’eau froide des sources ;

Des chiens de tous poils les suivraient écumants.
Ils s’époumoneraient dans un cornet d’ivoire
A sonner le trépas aux sangliers fumants ;

Des broussailles pour lit, un étang pour baignoire,
Ils dormiraient beaucoup, et rêveraient fort peu,
Se portant comme Hercule, et mettant là leur gloire ;

Puis l’hiver, ils auraient et l’orgie et le jeu,
Tout ce qui ne sent pas la science et l’école…
Des cartes ? en voilà !… mais un livre, grand Dieu !

Un livre ! ils y pourraient trouver une parole
Qui desséchât leur sang, épouvantât leurs nuits,
Bouleversât leurs nerfs, rendît leur raison folle…

Ils pourraient devenir, un jour, ce que je suis !

Collection: 
1971

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