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    Pour vivre indépendant et fort
    Je me prépare au suicide ;
    Sur l’heure et le lieu de ma mort
    Je délibère et je décide.

    Mon cœur à son hardi désir
    Tour à tour résiste et succombe : .
    J’éprouve un surhumain plaisir
    A me balancer sur ma tombe.

    Je m’assieds le plus près du bord
    Et m’y penche à perdre équilibre ;
    Arbitre absolu de...

  • Nodier raconte qu’en Espagne
    Trois officiers cherchant, un soir,
    Une venta dans la campagne,
    Ne trouvèrent qu’un vieux manoir ;

    Un vrai château d’Anne Radcliffe,
    Aux plafonds que le temps ploya,
    Aux vitraux rayés par la griffe
    Des chauves-souris de Goya,

    Aux vastes salles délabrées,
    Aux couloirs livrant leur secret,
    Architectures...

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    À François Coppée.

    I

    Marthe était née au fond d’un village des Flandres,
    Autour duquel un fleuve enroule ses méandres,
    De flots moirés coulant entre deux talus verts.
    Leur maison, nonobstant sa forme villageoise,
    Etait coquette avec son toit luisant d’ardoise
    Et ses petits volets au soleil large ouverts.

    Son père...

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    On est dans l’invisible, on est dans l’impalpable.
    Ici tout, jusqu’à l’air qu’on respire, est coupable,
                Et l’eau qui pleure est un remords ;
    Sous on ne sait quelle ombre, on ne sait quelles formes
    ...

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    Je t’aime, en attendant mon éternelle épouse,
    Celle qui doit venir à ma rencontre un jour,
    Dans l’immuable éden, loin de l’ingrat séjour
    Où les prés n’ont de fleurs qu’à peine un mois sur douze.

    Je verrai devant moi, sur l’immense pelouse
    Où se cherchent les morts pour l’hymen sans retour,
    Tes sœurs de tous les temps défiler tour à tour,
    Et je...

  • Voici l’orme qui balance
    Son ombre sur le sentier ;
    Voici le jeune églantier,
    Le bois où dort le silence,
    Le banc de pierre où, le soir,
    Nous aimions à nous asseoir.

    Voici la voûte embaumée
    D’ébéniers et de lilas,
    Où, lorsque nous étions las,
    Ensemble, ô ma bien-aimée !
    Sous des guirlandes de fleurs,
    Nous laissions fuir les...

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    À Madame Louise Ackermann.

    L’implacable Infini dont tu souffres, poète,
    Nous en avons souffert comme toi, plus que toi ;
    Et nous avons aussi, pendant la nuit muette,
    Crispé nos poings d’ennui, de colère et d’effroi.

    Nous avons comme toi crié dans nos alarmes
    Vers ce Dieu morne et sourd qui nous laissait pleurer,
    Quand...

  • Voici très longuement, très lentement, les râles
    D’hiver et les grands soirs dressés en bûchers d’or
    Rouge sur des fleuves et les mers novembrales
    Pleines de pleurs, pleines d’affres, pleines de mort.

    Les chiens du désespoir, les chiens du vent d’automne
    Mordent de leurs abois les échos noirs des soirs,
    Et l’ombre, immensément, dans le vide, tâtonne
    ...

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    Les violons mêlaient leur rire au chant des flûtes,
    Et le bal tournoyait quand je la vis passer
    Avec ses cheveux blonds jouant sur les volutes
    De son oreille où mon Désir comme un baiser
    S’élançait et voulait lui parler sans oser.

    Cependant elle allait, et la mazurque lente
    La portait dans son rythme indolent comme un vers,
    — Rime mélodieuse,...

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    À Léopold Horovitz.

    Si chétive, une haleine, une âme,
    L’orpheline du porte-clés
    Promenait dans la cour infâme
    L’innocence en cheveux bouclés.

    Elle avait cinq ans ; son épaule
    Était blanche sous les haillons,
    Et, libre, elle emplissait la geôle
    D’éclats de rire et de rayons.

    Un bon vieux repris de justice
    Sculptait...