• Le fleuve qui, libre et tranquille,
    Traîne ses marnes et ses eaux
    Au milieu des pâles roseaux,
    Presse en ses bras une longue île,

    Qui semble un navire échoué
    Par quelque héroïque aventure,
    Perdant sa forme et sa nature,
    Dormeur à l’oubli dévoué.

    Le cri rauque et le vol des grues
    Percent les...

  •  
    Je me croyais poète et j’ai pu me méprendre,
    D’autres ont fait la lyre et je subis leur loi ;
    Mais si mon âme est juste, impétueuse et tendre,
                  Qui le sait mieux que moi ?

    Oui, je suis mal servi par des cordes nouvelles
    Qui ne vibrent jamais au rhythme de mon cœur ;
    Mon rêve de sa lutte avec les mots rebelles
                  Ne sort...

  •  
    Poète ! aussi longtemps que marchera la terre
    Dans le vide muet qui n’a pas d’horizon ;
    Tant que l’homme, implorant un climat salutaire,
    Sous la grêle et les vents traînera sa maison,
    Nu, forcé d’inventer le pain, le fer, la flamme,
    L’art de ne pas périr, ses lois et son bonheur ;
    Qu’il frappera son front en y cherchant son âme,
    Et sa poitrine...

  •  
    O vénérable Nuit, dont les urnes profondes
    Dans l’espace infini versent tranquillement
    Un long fleuve de nacre et des millions de mondes,
             Et dans l’homme un divin calmant,

    Tu berces l’univers, et ton grand deuil ressemble
    A celui d’une veuve exercée aux douleurs,
    Qui pense au lendemain inexorable, et tremble
    Pour son enfant qui dort...

  • Il aimait à la voir, avec ses jupes blanches,
    Courir tout au travers du feuillage et des branches,
    Gauche et pleine de grâce, alors qu'elle cachait
    Sa jambe, si la robe aux buissons s'accrochait.

  • N'est-ce pas qu'il est doux, maintenant que nous sommes
    Fatigués et flétris comme les autres hommes,
    De chercher quelquefois à l'Orient lointain
    Si nous voyons encore les rougeurs du matin,

    Et, quand nous avançons dans la rude carrière,
    D'écouter les échos qui chantent en arrière
    Et les chuchotements de ces jeunes amours
    Que le Seigneur a mis au début...

  • Mes poèmes ! soyez des fleuves !
    Allez en vous élargissant !
    Désaltérez dans les épreuves
    Les coeurs saignants, les âmes veuves,
    Celui qui monte ou qui descend.

    Que l'aigle plonge, loin des fanges,
    Son bec de lumière en vos eaux !
    Et dans vos murmures étranges
    Mêlez l'hymne de tous les anges
    Aux chansons de tous les oiseaux !