• Au milieu des joyaux étincelants et lourds
    Dont elle allait parer sa gorge demi-nue,
    Elle vit un bouquet qu’une main inconnue,
    Avait mis là, parmi la soie et le velours.

    Or ce bouquet, formé de fleurs presque fanées,
    Rien qu’à le voir serrait le cœur ; les nénuphars,
    Les glaïeuls maladifs, fils des matins blafards,
    Les lys, penchés sur leurs tiges...

  • Comme une vierge au front vermeil
    Dans le jardin des cieux venue,
    L’Aube, ayant vaincu le sommeil,
    Cueille les fruits d’or de la nue.

    Dans l’azur, immense verger
    Des constellations fécondes,
    Elle passe d’un pas léger,
    Laissant flotter ses tresses blondes.

    Et les étoiles, tour à tour,
    Aux plis de sa robe jetées,
    Tombent, célestes...

  • Quand l’immémoriale antiquité des jours
    Commençait pour ce globe et ses vides séjours,
    L’obscure volonté selon qui la matière
    Se ruait à remplir sa destinée entière
    Faisait sur le désert universel des eaux
    Voguer des continents comme de grands vaisseaux ;
    Et, la nuit, sous l’œil clair des récentes étoiles,
    Les forêts s’emplissaient de vent, comme des...

  • Sur le grand lit drapé de rideaux de dentelle
    Qu’une pale veilleuse éclairait à demi,
    Je m’assis en silence, et, m’accoudant près d’elle,
    Longtemps je contemplai son visage endormi.

    Est-il des cœurs si faux que leur sommeil nous mente ?
    — Qui croire alors ? — Penché sur elle et sans parler,
    Je regardais dormir cette tête charmante
    Qu’un rêve...

  • Assis au revers d’un chemin,
    L’ombre en noyait les avenues —
    Tout seuls et la main dans la main
    Je baisais ses épaules nues.

    Blanche, la lune se levait ;
    — L’ombre en redoublait son mystère —
    Au moindre souffle tout avait
    Des frissons d’amour sur la terre.

    Et je respirais ses cheveux ;
    — L’ombre en buvait l’odeur suave —
    Et lui...

  • Saturne, Jupiter, Vénus, n’ont plus de prêtres.
    L’homme a donné les noms de tous ses anciens maîtres
    A des astres qu’il pèse et qu’il a découverts,
    Et le dernier des dieux dont le culte demeure,
    A son tour menacé, tremble que tout à l’heure
    Son nom ne serve plus qu’à nommer l’univers.

    Les paradis s’en vont ; dans l’immuable espace
    Le vrai monde élargi...

  • La vie est ainsi faite. On dit : « Le monde est grand. »
    On a, comme l’oiseau, des instincts d’émigrant,
    On voudrait en un jour voir l’Europe et l’Asie.
    Les ailes font défaut : « Prenons voile et vapeur.
    Nous fréterons un brick ou quelque bon clipper
    Qui nous emporte au gré de notre fantaisie.

    Nous cueillerons en Chine, au bord du fleuve Amour,
    La...

  • Sous un ciel bas, d’un blanc triste, teinté de noir,
    Qui prend l’aspect blafard et morne d’un cilice,
    La rue étend au loin son pavé rond et lisse
    Que l’averse a rendu luisant comme un miroir.

    Quelques passants s’en vont, flanant sur le trottoir,
    Sans voir ces condamnés qui marchent au supplice :
    Des troupeaux de bœufs, dont le pied trébuche et glisse
    ...

  • J’aimais ses cheveux noirs comme des fils de jais
    Et toujours parfumés d’une exquise pommade,
    Et dans ces lacs d’ébène où parfois je plongeais
    S’assoupissait toujours ma luxure nomade.

    Une âme, un souffle, un cœur, vivaient dans ces cheveux,
    Puisqu’ils étaient songeurs, animés et sensibles.
    Moi, le voyant, j’ai lu de bizarres aveux
    Dans le miroitement...

  • Quand je monte vers la barrière,
    En laissant la ville en arrière,
    Quand la rue est près de finir,
    Un mirage, un décor, un rêve
    Au bout de mon chemin se lève :
    Voyez les collines bleuir !

    Je vous connais : vous êtes Sèvres ;
    Vous avez des noms doux aux lèvres,
    Et des sourires tentateurs.
    Vous êtes Meudon ; vous, Asnières,
    Et vous...