• La bonté du soleil n’apaise pas nos yeux.
    Nous avons les prés clairs où l’eau met des buées,
    Les collines aux plis charmants continuées
    En des bandes couleur de perle au bord des cieux.

    Nos chênes sont si hauts, si vaillants & si vieux
    Qu’ils connaissent la foudre & parlent aux nuées.
    Les forêts de cent ans que l’on n’a pas tuées
    Sont les...

  • Comme elle était chrétienne & n’avait pas voulu,
    Pour de vains dieux d’argile & de bois vermoulu,
    Allumer de l’encens ni célébrer des fêtes,
    Le préteur ordonna de la livrer aux bêtes ;
    Et comme elle était jeune & vierge, & rougissait
    Quand l’œil du juge impur sur elle se fixait,
    Une clause formelle en l’édit contenue
    Précisa qu’au...

  • Elle n’a pas perdu de son cœur un pistil,
    Ni du frêle tissu de sa corolle un fil ;
    La page ondule encore où sécha la rosée
    De son dernier matin, mêlée à d’autres pleurs ;
    La mort en la cueillant l’a seulement baisée,
    Et, soigneuse, n’a fait qu’éteindre ses couleurs,
    Mais ne l’a...

  • Chaque être est, dans le tout, un exemplaire unique :
    Avant, rien de semblable ; après, rien de pareil !
    Et chaque fois que Dieu crée & se communique,
    C’est un enfantement, ce n’est pas un réveil.

    Dans sa mobilité partout la vie abonde,
    Sans pouvoir revenir au chemin parcouru ;
    On ne remplace pas un ciron dans le monde :
    L’être est irréparable,...

  • Le soleil s’est levé du milieu des collines
    Comme le premier-né divin des nuits d’été,
    Déchirant, dans un vol de flammes emporté,
    Du matin frissonnant les frêles mousselines.

    Les champs, l’eau, les forêts graves & sibyllines,
    La terre jusqu’au ciel tressaille de clarté.
    Le chœur universel des bêtes a chanté,
    Voix dans l’air, voix des bois,...

  • Un large ruban d’or illumine la cime
    Des coteaux dont la brume a noyé le versant.
    L’horizon se déchire, & le soleil descend
    Sous les nuages roux qui flottent dans l’abîme
    Comme un riche archipel sur une mer de sang.

    De confuses rumeurs s’éveillent par la plaine,
    Et dans son champ, debout aux rebords des sillons,
    Travailleur obstiné sous les...

  • Je connais un sentier sombre & marécageux
    Bordé d’herbe & de fleurs où l’abeille butine.
    Un jour, un crapaud vert qu’effleura sa bottine
    Fit l’enfant se pâmer de dégoût sous mes yeux.

    Je n’avais pas vingt ans, & n’aimais qu’elle au monde,
    Et posai sur sa bouche un baiser amoureux.
    Puis j’écrasai du pied le batracien immonde,
    Et j’en eus du...

  • Malheur à qui, tournant l’angle d’un carrefour,
    Insouciant, sourit en coudoyant le vice !
    Il faut qu’un noble cœur se révolte & frémisse,
    Quand, le soir, apparaît le spectre de l’amour.

    Il faut que l’âme honnête aspire à ce beau jour.
    Où finira l’immonde & navrant sacrifice ;
    Où la fille du peuple, arrachée au supplice,
    Sans effort marchera...

  • Toi qui m’entends parler sans frayeur de la mort,
    Parce que ton amour te promet qu’elle endort,
    Et que le court sommeil commencé dans son ombre
    S’achève au clair pays des étoiles sans nombre,
    Reçois mon dernier vœu pour le jour où j’irai
    Tenter seul, avant toi, si ton amour dit vrai.

    Ne cultive au-dessus de mes paupières closes
    Ni de grands dahlias,...

  • Il est de par le monde une vierge proscrite,
    Etre toujours maudit & toujours redouté,
    Fuyant sous les clameurs d’une foule hypocrite
    Qui peut tout lui ravir, hors l’immortalité.

    Elle est belle, & pourtant son radieux visage
    S’assombrit, traversé par des plis soucieux :
    On dirait un superbe & morne paysage
    Où l’ombre se répand sur l’or...