• Un souvenir d’enfance, assoupi dans mon cœur,
    Que le retour de Mars joyeusement réveille,
    C’est celui d’une Enseigne où trône une bouteille
    Qu’emplit, ô Cambrinus, ta fougueuse liqueur :

    Caressant d’un colback haut le plumet vainqueur
    (Cependant que déjà butine aux champs l’abeille),
    Deux houzards moustachus, attablés sous la treille,
    Sont là, prêts à...

  • Sous un souffle qu’emplit l’aube des premiers temps
    S’évapore la terre aux verdures nouvelles ;
    L’arbre enivré s’incline aux bords des clairs étangs ;
    Et les feuilles au ciel battent comme des ailes
    Dans l’âme fraîche du printemps.

    Sur l’herbe où la rosée a trempé leurs pieds...

  • Il avait sur l’échine une croix pour blason !
    Poussif, galeux, arqué, chauve et la dent pourrie,
    Squelette, on le traînait, hélas ! à la voirie.
    Je l’achetai cent sous ; il loge en ma maison.

    Sa langue avec amour épile ma prairie
    Et son œil réfléchit les arbres, le gazon,
    La broussaille et les feux sanglants de l’horizon ;
    Sa croupe maintenant n’est...

  • L’Éternel s’ennuyait dans l’immensité vide ;
    Rien n’existait. C’était le règne du Néant.
    Du fond de l’Infini, gouffre morne et béant,
    Un hymne répondit à son désir avide.

    De ce désir, le Monde avait jailli, splendide.
    Il avait dévoilé sa face en le créant,
    Et l’homme, nain sublime aux instincts de géant,
    L’adorait humblement dans son âme candide....

  • Naufragé converti, j’ai voué ma carène
    Au repos absolu ; je vous renonce, ô mers !
    Et vous, dangers aimés, traîtres cieux, bords pervers,
    Hurlements de Charybde, appels de la Syrène !

    Ainsi je me berçais sur la plage sereine,
    Lorsqu’un cri de détresse émeut soudain les airs,
    Et j’aperçois, roulant parmi les flots amers,
    Une pâle beauté dont la perte...

  • J’ai mon sein, j’ai dans mon âme
    Un désir d’amour étouffant :
    Que veut mon rêve ? est-ce une femme,
    Blonde et pure comme une enfant ?

    Est-ce une vierge qui m’attire,
    Pâle sous l’or de ses cheveux ?
    J’aime et j’étouffe et ne sais dire,
    Ô mon cœur fou, ce que tu veux.

    Pourquoi, quand les chauds couchants roses
    Exaltent les fleurs dans les...

  • La lune luit ; le ciel est bleu ; le grillon chante ;
    Nulle âme en ce moment n’a droit d’être méchante.
    Tout contour s’amollit sous la douce clarté
    Que dans le grand ciel bleu fait cette nuit d’été.
    Les chevreuils, les faisans, les cerfs connaissent l’heure
    Où dans les bois profonds la fougère est meilleure,
    Où la mousse se creuse en moelleux abris
    ...

  • L’immensité t’écrase, — impasse
    Dont les sphères sont l’horizon ;
    Regarde à tes pieds, ô Raison !
    Les cieux sont hauts, ta vue est basse.

    Vois ! pour l’humble ciron qui passe,
    L’univers est fait d’un gazon ;
    Une heure écoule une saison ;
    Le point lui-même est un espace.

    De ces infiniment petits,
    Les impalpables sont sortis,
    Les...

  • Arlequin au nez noir, Pierrot au masque blême
    Me font envie ; et c’est mon intime souhait
    De vivre dans ce monde idéal et muet,
    Où, comme parmi nous, l’on s’agite et l’on aime.

    L’un ou l’autre incarnant mon esprit inquiet,
    Je tournerais dans un rôle toujours le même,
    Sur la pointe du pied, jusques au souffle extrême
    D’un orchestre jouant des airs de...

  • J’ai reposé mon cœur avec tranquillité
    Dans l’asile très-sûr d’un amour très-honnête.
    La lutte que je livre au sort est simple et nette,
    Et tout peut m’y trahir, non la virilité.

    Je ne crois pas à ceux qui pleurent, l’âme éprise
    De la sonorité de leurs propres sanglots :
    Leur idéal est né de l’écume des mots,
    Et comme je les tiens pour nuls, je les...