• Rien n’est plus ennuyeux que ces villes banales
    Débitant le soleil à faux poids, ou des eaux
    Qui doivent aciérer nos muscles & nos os,
    Pays d’albums usés, stations hivernales.

    Des princes vagabonds illustrent leurs annales ;
    Les hôteliers hargneux combinent des réseaux,
    Et l’on voit fuir au loin la joie & les oiseaux
    Devant de laids bourgeois...

  • O pasteurs ! Hespérus à l’Occident s’allume ;
    II faut tenter la cime & les feux de la brume !
    Un bois plutonien couronne ce rocher,
    Et je veux, aux lueurs des astres, y marcher !
    Ma pensée habita les chênes de Dodone ;
    La lourde clef du Rêve à ma ceinture sonne,
    Et, détournant les yeux de ces âges mauvais,
    Je suis un familier du Silence — & je...

  • Maître Watteau, dans l’art d’agrémenter un rêve,
    Je suis votre confrère & non pas votre élève.
    Vraiment, si j’empruntais la règle de mon goût,
    Je la devrais aux Grecs, à leurs marbres surtout.
    Inhabile à tirer profit des biens d’un autre,
    Je vis de mon caprice, & ce genre est le vôtre.
    Mais, comme vous & moi nous fardons la beauté,
    Il règne...

  • Hé bien ! j’ai triomphé, l’on m’a fort applaudie,
    J’ai su rire, chanter, jouer la comédie,
    Être jeune une fois & répondre à chacun,
    Sur son salut banal, un autre lieu commun.
    L’éclair à la prunelle & le rose à la joue,
    Hé bien ! c’est vrai, j’ai fait tout cela, je l’avoue.
    Et cependant, malgré tant de sérénité,
    De mouvement, de bruit, de...

  • Ce petit homme grisonnant
    S’en venait encore à l’automne,
    Le regard vif, l’air avenant,
    En poussant son cri monotone.

    Mais qu’il est changé maintenant !
    Le regard est noir, l’air atone ;
    Et, sur les syllabes traînant,
    Sa voix chevrotante détonne.

    À peine un hiver a passé
    Et le revoilà si cassé,
    Qu’à l’entendre mon cœur se serre…...

  •  
    C’était un soir de juin paisible. Du midi
    Le vent soufflait chargé d’un parfum attiédi,
    Et les deux vieilles tours massives & carrées,
    D’un rayon de soleil couchant étaient dorées.
    Le ciel d’un bleu d’opale avait des tons charmants ;
    Les arbres & les fleurs tressaillaient par moments ;
    Partout les foins coupés dormaient sur les prairies....

  •  
    Morte ! oh ! serait-il vrai ? morte, pleine de vie !
    À son calme avenir quel mal l’a donc ravie ?
    Qui donc l’a pu frapper avant qu’elle eût vingt ans ?
    Dans la fraîche candeur de ses premiers printemps,
    Quand elle n’était pas au tiers de sa journée,
    Quel souffle, pauvre fleur ! l’a si vite fanée ?
    Ô malheureuse enfant ! le secret bien-aimé
    Qu’à...

  • Non, non, je ne suis pas de ces femmes qui meurent
    Et rendent ce dernier service à leurs bourreaux,
    Pour qu’ils vivent en paix & sans soucis demeurent.

    Vois-tu, ces dévoûments sont niais s’ils sont très-beaux.
    Les hommes, je le sais, se complaisent trop vite,
    Le pied sur ces cercueils, à poser en héros,

    Et j’ai dégoût d’ouïr la manière hypocrite
    ...

  • Qu’écrire ? Vierge encor la page est sous mes doigts,
    Prête à tout elle attend mon caprice. — Autrefois
    La chantante élégie en mon cœur murmurée,
    Source qui débordait de la vasque nacrée,
    S’épanchait d’elle-même en vers doux & naïfs.
    Les doutes, les soupçons, les aveux, flots furtifs
    Qui jasent & s’en vont aux pentes inconnues,
    S’échappaient...

  • Comme le vent d’automne emporte,
    Pour les ranimer un instant,
    Fleur desséchée & feuille morte,
    En son tourbillon inconstant,

    Dans ces lettres, tristes trophées,
    Pauvre tas de papier jauni,
    Vibre aussi par molles bouffées
    Le grand souffle de l’infini.

    Ô spectres qu’aujourd’hui je touche,
    Chers inconnus que j’entrevois,
    La mort en...