Rayons perdus (1869)/Marchand d’habit

Ce petit homme grisonnant
S’en venait encore à l’automne,
Le regard vif, l’air avenant,
En poussant son cri monotone.

Mais qu’il est changé maintenant !
Le regard est noir, l’air atone ;
Et, sur les syllabes traînant,
Sa voix chevrotante détonne.

À peine un hiver a passé
Et le revoilà si cassé,
Qu’à l’entendre mon cœur se serre…

Poursuivant un maigre débit.
Oh ! quel poëme de misère
Dans ce seul cri : Marchand d’habit !

Près de la ronde inattentive
Qui poussait d’éclatants hourras,
Je la voyais passer, furtive,
Ayant son petit frère aux bras.

Elle avait huit ans, &, chétive,
Elle pliait à chaque pas ;
Sa démarche était si craintive
Qu’on eût dit qu’elle n’osait pas.

Aux cris de la bande mutine
Elle serrait sur sa poitrine
Son pauvre cher petit bébé,

Et déjà son grand œil plombé
Avait, sous les larmes amères,
Le long regard des pauvres mères.

Dans les beaux rayons de soleil
L’enfant joyeux se roule & joue.
De sa pauvre petite joue,
Le teint pâle devient vermeil.

Il court, saute, donne l’éveil
Aux pigeons blancs qui font la roue.
Il chante tant, qu’il s’en enroue,
Le chant qui berça son sommeil.

Autour de lui tout est splendide :
En vain le dénûment sordide
L’étreint, morne & silencieux ;

Il est naïf ; il est candide ;
Et lorsqu’il regarde les cieux,
Il rit en ouvrant de grands yeux.

Collection: 
1869

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