Rayons perdus (1869)/Page blanche

Qu’écrire ? Vierge encor la page est sous mes doigts,
Prête à tout elle attend mon caprice. — Autrefois
La chantante élégie en mon cœur murmurée,
Source qui débordait de la vasque nacrée,
S’épanchait d’elle-même en vers doux & naïfs.
Les doutes, les soupçons, les aveux, flots furtifs
Qui jasent & s’en vont aux pentes inconnues,
S’échappaient nuit & jour en strophes ingénues ;
Le rêve, interrompu la veille, reprenait,
L’accent, confus d’abord, se répétait plus net,
Une larme coulait d’un sourire effacée ;
L’espérance passait légère, & ma pensée
S’égarait aux détours charmants du souvenir.
Maintenant, je n’ai plus de pleurs à retenir,

Plus de folle espérance à qui couper les ailes,
Plus d’angoisses traînant la colère après elles,
Plus d’effroi, de souci, d’amertume, plus rien !
Autrefois, les accords du grand musicien
Amour faisaient vibrer les cordes de mon âme ;
Maintenant, le foyer triste n’a plus de flamme,
Le musicien meurt, & l’instrument forcé
Ne rend plus qu’un son mat quand chante le passé.

Collection: 
1869

More from Poet

  • Passer tout près, passer et regarder de loin,
    Et frémir sans oser continuer la route,
    Et refouler, de peur d’un indiscret témoin,
    Ces derniers pleurs, tout prêts à couler goutte à goutte !

    De lourds nuages gris que l’éclair déchirait
    Cachaient tout l’...

  • La vie est si souvent morne & décolorée,
    À l’ennui l’heure lourde est tant de fois livrée
    Que le corps s’engourdit,
    Et que l’âme, fuyant les épreuves amères,
    S’envole & vient saisir à travers les...

  • Ô les charmants nuages roses,
    Les jolis prés verts tout mouillés !
    Après les vilains mois moroses,
    Les petits oiseaux réveillés
    S’envolent aux champs dépouillés.

    Tout là-haut ce n’est que bruits d’ailes,
    Rendez-vous, murmures, chansons ;
    Aux toits...

  • Lors de ma dix-septième année,
    Quand j’aimais & quand je rêvais,
    Quand, par l’espérance entraînée,
    J’allais, riant des jours mauvais ;
    Quand l’amour, ce charmeur suprême,
    Endormait le soupçon lui-même
    Dans mon cœur craintif & jaloux ;
    Quand je n’...

  • Rentrez dans vos cartons, robe, rubans, résille !
    Rentrez, je ne suis plus l’heureuse jeune fille
    Que vous avez connue en de plus anciens jours.
    Je ne suis plus coquette, ô mes pauvres atours !
    Laissez-moi ma cornette & ma robe de chambre,
    Laissez-moi les porter...