• J’ai cueilli pour vous seule, à sa branche flétrie,
    Ce jasmin par l’hiver oublié dans la tour.
    J’ai baisé sa corolle, et mon âme attendrie
    Dans la dernière fleur met son dernier amour.

    Château de La Roche-Guyon. 185…

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    La brume a noyé l’horizon blafard,
    Les vents font le bruit d’un taureau qui beugle,
    Et, sur les prés nus, le ciel sans regard
    S’ouvre, vide et blanc comme un œil d’aveugle.

    Ce n’est pas la nuit, ce n’est pas le jour ;
    Du zénith glacé, je sens, comme un givre,
    Tomber sur mon cœur, qui n’a plus d’amour,
    Le dégoût d’être homme et l’ennui de...

  • Kronos, roi du passé, père des jours à naître,
    Seul des olympiens sur son trône est resté ;
    L’impitoyable faux au tranchant redouté
    Tremble éternellement dans les mains du vieux maître :

    Sa barbe, que le feu des étoiles pénètre,
    Sous ses flocons d’argent couvre l’immensité ;
    Il jette aux dieux nouveaux un regard de côté,
    Et se détourne d’eux, sans...

  • Le Nil est large et plat comme un miroir d’acier,
    Les crocodiles gris plongent au bord des îles,
    Et, dans le bleu du ciel, parfois un grand palmier
    Étale en parasol ses feuilles immobiles.

    Les gypaëtes blancs se bercent dans les airs,
    Le sable, au plein midi, fume dans les espaces,
    Et les buffles trapus, au pied des buissons verts,
    Dorment, fronçant...

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    À mon ami Eugène Crépet.

    Ô laboureur de l’âme, ô semeur éternel.
    Poète, avant le jour, loin du toit paternel,
    Sans écouter le chien qui gronde,
    Pars avec ta charrue et ton rude aiguillon :
    Tu sais que le temps presse, et qu’il faut au sillon
    Jeter tout l’avenir d’un monde.

    Il part ; la plaine immense, au lever du soleil,
    N’a pas...

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    I

    Mars est venu, la vigne pleure :
    Le vent du nord, passant brutal,
    Fait, sur les branches qu’il effleure,
    Rouler des perles de cristal ;

    Et, peu sensible à tes alarmes,
    Au flanc des côtes sans chemins,
    La terre boit tes grandes larmes,
    Consolatrice des humains.

    Oh ! dis-nous, se peut-il qu’on voie,
    Pour calmer nos «âpres...

  • Sous le chèvrefeuil,
    Je vidais bouteille.
    Trois amis en deuil
    M’ont dit à l’oreille :

    — Eh ! bon ! bon ! bon ! ― qu’on nous verse encor !
    Le vin, c’est du sang ! ― le cidre, de l’or !

    « prends bien garde à toi,
    On te fauche l’herbe. »
    — « Je n’ai pas d’effroi,
    J’ai rentré ma gerbe ! »

    — Eh ! bon ! bon ! bon ! ― qu’on nous verse...

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    Marcia, la vieille louve,
    Au fond de son antre couve
    Plus d’une jeune beauté,
    Et, quand la rue est obscure,
    Répand au loin, dans Suburre,
    Son fol essaim qui murmure
    Par les chaudes nuits d’été.

    Elle a la belle Grecque, enivrante sirène,
    La fille de Lesbos aux soupirs cadencés,
    Qui suspend ses doigts blancs à sa lyre d’ébène,...

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    À P. M.

    Dans ma chambre, au bord de la plage,
    Frère, je rêvais l’autre nuit,
    Et la lune, sur mon visage,
    Doux fantôme, glissait sans bruit ;

    La blanche lueur qui pénètre
    Tremblait aux rideaux suspendus ;
    Une voix chante à ma fenêtre,
    Une voix aux sons inconnus.

    Jusqu’à moi, dans l’ombre, elle arrive
    Frémissante et...

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    Le printemps s’est hâté, mars en mai se déguise ;
    Comme un hérisson fauve, il traîne le soleil
    Qui lutte et fait trembler, au froid qui les aiguise,
    Sur son dos frissonnant ses pointes de vermeil.

    La brise a des chansons qui grelottent encore ;
    Sous son capuchon rose enfermée à demi,
    La fleur du marronnier regarde et veut éclore,
    Puisque des...