Le Laboureur

 
À mon ami Eugène Crépet.

Ô laboureur de l’âme, ô semeur éternel.
Poète, avant le jour, loin du toit paternel,
Sans écouter le chien qui gronde,
Pars avec ta charrue et ton rude aiguillon :
Tu sais que le temps presse, et qu’il faut au sillon
Jeter tout l’avenir d’un monde.

Il part ; la plaine immense, au lever du soleil,
N’a pas même un oiseau qui chante le réveil,
Pas même un arbre qui frissonne.
C’est un terrain maudit, dans le vaste univers,
Et, sur les durs cailloux dont les champs sont couverts.
On entend le soc dur qui sonne.

L’air est en feu : midi, sur l’ardent travailleur,
Comme un manteau de plomb, fait tomber sa chaleur.
Mais qu’importe aux tâches divines !
Il marche dans l’espoir, dans la foi, dans l’azur,
Et la sainte sueur qui coule à son front pur
Semble un bandeau de perles fines.

Il voit, il voit déjà, sur le sol âpre encor,
Frémir les bois touffus et rouler les blés d’or,
Tout tachetés de fleurs vermeilles ;
Il ne s’aperçoit pas, le rêveur ingénu,
Que mille taons jaloux, pour piquer son sein nu,
Vont bourdonnant à ses oreilles !

Puis, quand au foyer sombre il retourne, le soir,
Tous les petits enfants se pressent pour le voir,
Au seuil des fermes souriantes ;
Car, pareils aux grands bœufs qui rentrent à pas lourds,
Ses vers au large flanc font tinter, dans les cours,
Leurs colliers de rimes bruyantes.

Collection: 
1841

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