• Assis au revers d’un chemin,
    L’ombre en noyait les avenues —
    Tout seuls et la main dans la main
    Je baisais ses épaules nues.

    Blanche, la lune se levait ;
    — L’ombre en redoublait son mystère —
    Au moindre souffle tout avait
    Des frissons d’amour sur la terre.

    Et je respirais ses cheveux ;
    — L’ombre en buvait l’odeur suave —
    Et lui...

  • Saturne, Jupiter, Vénus, n’ont plus de prêtres.
    L’homme a donné les noms de tous ses anciens maîtres
    A des astres qu’il pèse et qu’il a découverts,
    Et le dernier des dieux dont le culte demeure,
    A son tour menacé, tremble que tout à l’heure
    Son nom ne serve plus qu’à nommer l’univers.

    Les paradis s’en vont ; dans l’immuable espace
    Le vrai monde élargi...

  • La vie est ainsi faite. On dit : « Le monde est grand. »
    On a, comme l’oiseau, des instincts d’émigrant,
    On voudrait en un jour voir l’Europe et l’Asie.
    Les ailes font défaut : « Prenons voile et vapeur.
    Nous fréterons un brick ou quelque bon clipper
    Qui nous emporte au gré de notre fantaisie.

    Nous cueillerons en Chine, au bord du fleuve Amour,
    La...

  • Sous un ciel bas, d’un blanc triste, teinté de noir,
    Qui prend l’aspect blafard et morne d’un cilice,
    La rue étend au loin son pavé rond et lisse
    Que l’averse a rendu luisant comme un miroir.

    Quelques passants s’en vont, flanant sur le trottoir,
    Sans voir ces condamnés qui marchent au supplice :
    Des troupeaux de bœufs, dont le pied trébuche et glisse
    ...

  • J’aimais ses cheveux noirs comme des fils de jais
    Et toujours parfumés d’une exquise pommade,
    Et dans ces lacs d’ébène où parfois je plongeais
    S’assoupissait toujours ma luxure nomade.

    Une âme, un souffle, un cœur, vivaient dans ces cheveux,
    Puisqu’ils étaient songeurs, animés et sensibles.
    Moi, le voyant, j’ai lu de bizarres aveux
    Dans le miroitement...

  • Quand je monte vers la barrière,
    En laissant la ville en arrière,
    Quand la rue est près de finir,
    Un mirage, un décor, un rêve
    Au bout de mon chemin se lève :
    Voyez les collines bleuir !

    Je vous connais : vous êtes Sèvres ;
    Vous avez des noms doux aux lèvres,
    Et des sourires tentateurs.
    Vous êtes Meudon ; vous, Asnières,
    Et vous...

  • Aimer d’un grand amour une grande beauté
    N’est point un culte faux et te garde du blâme,
    Si ton cœur, attendri par cet amour, s’enflamme
    D’un zèle universel de sainte charité.

    La Grâce peut vouloir qu’un Ange ait emprunté
    Pour ton salut les traits d’une angélique Dame,
    Puisque c’est en songeant à ses yeux, que ton âme,
    Affligée ici-bas, songe à l’...

  • J’étais un naufragé qui malgré lui surnage.
    Sur une mer de nacre errant comme deux sœurs,
    Deux îles m’ont offert leurs abris caresseurs ;
    En deux yeux verdoyants j’ai vu ma double image.

    Loin des vieux continents par l’angoisse habités,
    J’ai vécu tout un soir dans deux mouvantes îles ;
    Tout près des ports fleuris de deux chastes asiles,
    En deux...

  • Sur le chemin du bois, par les beaux jours d’été,
    Elles viennent souvent se promener ensemble,
    A l’heure où le soleil, de sa tiède clarté,
    Endort au vent du soir la campagne qui tremble.

    Elles vont en chantant des refrains de chansons ;
    Au milieu des taillis la fraîcheur les attire.
    Elles jettent au loin, à travers les buissons,
    Le tumulte charmant de...

  • Les champs sont comme des damiers
    Teintés partout du blé qui lève.
    Avril a mis sur les pommiers
    Sa broderie exquise et brève.

    Avant que les soleils brutaux
    Aient fait jaunir l’herbe et la branche,
    C’est la gloire de nos coteaux
    D’avoir cette couronne blanche.

    Malgré les feuillages légers,
    Les jardins sont tout nus encore,
    Mais les...