O toi vers qui mes sens allaient sans te connaître,
Tyran tant désiré qu’appelait tout mon être,
Par mon sang lourd d’amour si longtemps attendu,
Quand j’ai crié, vers toi qu’adorait mon génie,
Ma divine agonie,
O Phaon, c’est ta chair qui seule a répondu,
Pour dompter de ton front la beauté despotique,
J’ai jeté mon angoisse à la strophe impudique
Et tendu vainement, et jusqu’à les briser,
Les cordes de mon cœur et celles de ma lyre,
Sans voir en ton sourire
Une autre âme fleurir que l’âme du baiser.
Pour chanter ta puissance et pleurer ta caresse,
J’ai, du verbe des Dieux sacrilège prêtresse,
Dans la coupe du rythme où buvait mon orgueil
Versé tous les poisons merveilleux de ma fièvre,
Et l’autel de ma lèvre,
Profané par ta gloire, en gardera le deuil.
L’insomnie a brûlé mes douloureuses veines,
Et, dans la cruauté des étreintes vaines,
Tu ne devines pas, doux maître de mes sens,
Que vers toi, dans ce corps que l’amante te livre,
Quand ma forme t’enivre,
Mon immortalité fume comme un encens.
Et dans l’impérieux désir de tes prunelles,
Quand j’épiais le jour des clartés éternelles,
Tu crus que je cherchais, entre tes bras sauveurs,
Les fiers enlacements où les muscles s’embrasent,
Quand les bouches s’écrasent
Comme une grappe mûre aux charnelles saveurs.
Eros t’avait armé de sa force suprême,
Et de ce charme obscur, ignoré de toi-même,
Qui courba sous tes yeux, candide ravisseur,
Dans la magnificence horrible des crinières,
Les genoux des guerrières,
Devant ta volupté promise, et ta douceur.
Mais tu ne savais pas, puisque en toi rien ne souffre,
Que pour combler mon âme innombrable, ce gouffre
Noir de sanglots auxquels nulle voix ne répond,
Les plus belles amours et les plus insensées
Dont nous soyons blessées,
Etaient moins qu’une fleur jetée à l’Hellespont.
Et c’est pourquoi je vais mourir, ô mer profonde !
Entre les immortels qui désertent ce monde,
Ombre d’un culte éteint, l’Amour était resté :
Mais le cœur de Sapphô, rassasié de songe,
Renonce à ton mensonge,
Sanctuaire trahi que ses dieux ont quitté !