Salut à Versailles

 
Celui dont l’âme est triste et qui porte à l’automne
Son cœur brûlant encor des cendres de l’été,
Est le Prince sans sceptre et le Roi sans couronne
De votre solitude et de votre beauté.

Car ce qu’il cherche en vous, ô jardins de silence,
Sous votre ombrage grave où le bruit de ses pas
Poursuit en vain l’écho qui toujours le devance,
Ce qu’il cherche en votre ombre, ô jardins, ce n’est pas

Le murmure secret de la rumeur illustre,
Dont le siècle a rempli vos bosquets toujours beaux,
Ni quelque vaine gloire accoudée au balustre,
Ni quelque jeune grâce au bord des fraîches eaux ;

Il ne demande pas qu’y passe ou qu’y revienne
Le héros immortel ou le vivant fameux
Dont la vie orgueilleuse, éclatante et hautaine
Fut l’astre et le soleil de ces augustes lieux.

Ce qu’il veut, c’est le calme et c’est la solitude,
La perspective avec l’allée et l’escalier,
Et le rond-point, et le parterre, et l’attitude
De l’if pyramidal auprès du buis taillé ;

La grandeur taciturne et la paix monotone
De ce mélancolique et suprême séjour ;
Et ce parfum de soir et cette odeur d’automne
Qui s’exhalent de l’ombre avec la fin du jour.

                                  *

O toi que l’aube effraie, ô toi qui crains l’aurore,
Et que ne tentent plus la route et le chemin,
Quitte la ville vaine, arrogante et sonore
Qui parle avec des voix de soleil ou d’airain.

C’est là que l’homme fait sa boue et sa poussière
Pour élever son mur autour de l’horizon ;
Mais toi, dont le désir n’apporte plus sa pierre
Au travail en commun qui bâtit la maison,

Laisse ceux dont le bloc charge, sans qu’elle plie,
L’épaule et dont les bras sont propres aux fardeaux,
Se construire sans toi les demeures de vie
Et va vivre ton songe en la Cité des Eaux.

                                  *

L’onde ne chante plus en tes mille fontaines,
O Versailles, Cité des Eaux, Jardin des Rois !
Ta couronne ne porte plus, ô souveraine,
Les clairs lys de cristal qui l’ornaient autrefois !

La nymphe qui parlait par ta bouche s’est tue
Et le temps a terni sous le souffle des jours
Les fluides miroirs où tu t’es jadis vue
Royale et souriante en tes jeunes atours.

Tes bassins endormis à l’ombre des grands arbres
Verdissent en silence au milieu de l’oubli,
Et leur tain qui s’encadre aux bordures de marbre
Ne reconnaîtrait plus ta face d’aujourd’hui.

Qu’importe ! ce n’est pas ta splendeur et ta gloire
Que visitent mes pas et que veulent mes yeux ;
Et je ne monte pas les marches de l’histoire
Au-devant du Héros qui survit en tes Dieux.

Il suffit que tes eaux égales et sans fête
Reposent dans leur ordre et leur tranquillité,
Sans que demeure rien en leur noble défaite
De ce qui fut jadis un spectacle enchanté.

Que m’importent le jet, la gerbe et la cascade
Et que Neptune à sec ait brisé son trident,
Ni qu’en son bronze aride un farouche Encelade
Se soulève, une feuille morte entre les dents,

Pourvu que faible, basse, et dans l’ombre incertaine,
Du fond d’un vert bosquet qu’elle a pris pour tombeau,
J’entende longuement ta dernière fontaine,
O Versailles, pleurer sur toi, Cité des Eaux !

Collection: 
1884

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