Théophile Gautier

  • Tous les jours, écartant les roseaux et les branches,
    Près du fleuve où j’habite un pêcheur vient s’asseoir
    — Car sous l’onde il a vu glisser des formes blanches —
    Et reste là, rêveur, du matin jusqu’au soir.

    L’air frémit, l’eau soupire et semble avoir une âme,
    Un...

  • Depuis de si longs jours prisonnier, tu t’ennuies,
    Pauvre oiseau, de ne voir qu’intarissables pluies
    De filets gris rayant un ciel noir et brumeux,
    Que toits aigus baignés de nuages fumeux.
    Aux gémissements sourds du vent d’hiver qui passe
    Promenant la tourmente au...

  • Pour que je t’aime, ô mon poëte,
    Ne fais pas fuir par trop d’ardeur
    Mon amour, colombe inquiète,
    Au ciel rose de la pudeur.

    L’oiseau qui marche dans l’allée
    S’effraye et part au moindre bruit ;
    Ma passion est chose ailée
    Et s’envole quand on la suit....

  • À MADAME RIMSKI KORSAKOW

    Est-ce un rêve ? Le harem s’ouvre,
    Bagdad se transporte à Paris,
    Un monde nouveau se découvre
    Et brille à mes regards surpris.

    Pardonnez mon luxe barbare,
    Bariolé d’argent et d’or ;
    J’ignorais tout, un maître...

  • À l’horizon monte une nue,
    Sculptant sa forme dans l’azur :
    On dirait une vierge nue
    Émergeant d’un lac au flot pur.

    Debout dans sa conque nacrée,
    Elle vogue sur le bleu clair,
    Comme une Aphrodite éthérée,
    Faite de l’écume de l’air.

    On voit...

  • Dans son jardin la sultane se baigne,
    Elle a quitté son dernier vêtement ;
    Et délivrés des morsures du peigne,
    Ses grands cheveux baisent son dos charmant.

    Par son vitrail le sultan la regarde,
    Et caressant sa barbe avec sa main,
    Il dit : « L’eunuque en sa...

  • Le ciel est noir, la terre est blanche ;
    — Cloches, carillonnez gaîment ! —
    Jésus est né ; — la Vierge penche
    Sur lui son visage charmant.

    Pas de courtines festonnées
    Pour préserver l’enfant du froid ;
    Rien que les toiles d’araignées
    Qui pendent des...

  •  

    I.

    Las de ce calme plat où d’avance fanées,
    Comme une eau qui s’endort, croupissent nos années ;
    Las d’étouffer ma vie en un salon étroit,
    Avec de jeunes fats et des femmes frivoles,
    Echangeant sans profit de banales paroles ;
    Las de toucher toujours...

  • Sur cette place je m’ennuie,
    Obélisque dépareillé ;
    Neige, givre, bruine et pluie
    Glacent mon flanc déjà rouillé ;

    Et ma vieille aiguille, rougie
    Aux fournaises d’un ciel de feu,
    Prend des pâleurs de nostalgie
    Dans cet air qui n’est jamais bleu.

    ...
  • Pour oublier le reste, et m’oublier moi-même
    (Ici-bas être heureux c’est oublier), que j’aime,
    Loin du monde et du bruit, au fond de son boudoir,
    Sur l’ottomane souple auprès d’elle m’asseoir !
    — Cela me fait du bien et me repose l’âme.
    Quel plaisir ! — Respirer...