Théophile Gautier

  • Enfant aux airs d’impératrice,
    Colombe aux regards de faucon,
    Tu me hais, mais c’est mon caprice,
    De me planter sous ton balcon.

    Là, je veux, le pied sur la borne,
    Pinçant les nerfs, tapant le bois,
    Faire luire à ton carreau morne
    Ta lampe et ton front...

  •                        I

    Au pays où se fait la guerre
    Mon bel ami s’en est allé ;
    Il semble à mon cœur désolé
    Qu’il ne reste que moi sur terre !
    En partant, au baiser d’adieu,
    Il m’a pris mon âme à ma bouche.
    Qui le tient si longtemps, mon Dieu...

  • Je vis cloîtré dans mon âme profonde,
    Sans rien d’humain, sans amour, sans amis,
    Seul comme un dieu, n’ayant d’égaux au monde
    Que mes aïeux sous la tombe endormis !
    Hélas ! grandeur veut dire solitude.
    Comme une idole au geste surhumain,
    Je reste là, gardant...

  •  

    Minuit résonne au beffroi sombre;
    Débauchés, voleurs et hiboux,
    Peuple furtif qu’éveille l’ombre,
    Joyeusement quittent leurs trous.

    On voit courir aux aventures
    Les gentilhommes de la nuit ;
    Les bourgeois, sous leurs couvertures,
    Se blotissent...

  • Connaissez-vous dans le parc de Versailles
    Une Naïade, œil vert et sein gonflé ?
    La belle habite un château de rocaille
    D’ordre toscan et tout vermiculé.

    Sur les coraux et sur les madrépores
    Toute l’année elle dort dans les joncs ;
    Dans le bassin les...

  • Quelle toilette hier ! Une robe agrafée
    D’un nœud de diamants, air tramé, vent tissu,
    Où de ses doigts d’argent la lune avait cousu
    Le paillon qui luisait sur la jupe étoffée !

    D’étoiles en brillants négligemment coiffée,
    Vous redonniez des feux à chaque éclair...

  • Il est des cœurs épris du triste amour du laid.
    Tu fus un de ceux-là, peintre à la rude brosse
    Que Naple a salué du nom d’Espagnolet.

    Rien ne put amollir ton âpreté féroce,
    Et le splendide azur du ciel italien
    N’a laissé nul reflet dans ta peinture atroce.

    ...

  • Voici ce que j’ai vu naguère en mon sommeil :
    Le couchant enflammait à l’horizon vermeil
    Les carreaux de la ville ; et moi, sous les arcades
    D’un bois profond, au bruit du vent et des cascades,
    Aux chansons des oiseaux, j’allais, foulant des fleurs
    Qu’un arc-en-...

  • J’ai quitté pour un an la campagne : — le chaume
    Était jaune ; les champs n’avaient plus cet arome
    Que leur donnent en juin les fleurs et le foin vert,
    Et l’on sentait déjà comme un frisson d’hiver.
    — La campagne, c’est bon l’été. — L’on se promène,
    On marche à...

  • Moi, je suis Béhémot, l’éléphant, le colosse.
    Mon dos prodigieux, dans la plaine, fait bosse
                    Comme le dos d’un mont.
    Je suis une montagne animée et qui marche :
    Au déluge, je fis presque chavirer l’arche,
    Et quand j’y mis le pied, l’eau monta jusqu’...