Paul Valéry

  • Vue

    Si la plage planche, si
    L’ombre sur l’œil s’use et pleure
    Si l’azur est larme, ainsi
    Au sel des dents pure affleure

    La vierge fumée ou l’air
    Que berce en soi puis expire
    Vers l’eau debout d’une mer
    Assoupie en son empire

    Celle...

  • J’ai, quelque jour, dans l’Océan,
    (mais je ne sais plus sous quels cieux),
    Jeté, comme offrande au néant,
    Tout un peu de vin précieux...

    Qui voulut ta perte, ô liqueur ?
    J’obéis peut-être au devin ?
    Peut-être au souci de mon cœur,
    ...

  • Si tu veux dénouer la forêt qui t’aère
    Heureuse, tu te fonds aux feuilles, si tu es
    Dans la fluide yole à jamais littéraire,
    Traînant quelques soleils ardemment situés

    Aux blancheurs de son flanc que la Seine caresse
    Émue, ou pressentant l’après-...

  • Celles qui sont des fleurs légères sont venues,
    Figurines d’or et beautés toutes menues
    Où s’irise une faible lune... Les voici
    Mélodieuses fuir dans le bois éclairci.
    De mauves et d’iris et de nocturnes roses
    Sont les grâces de nuit sous leurs...

  • Un feu distinct m’habite, et je vois froidement
    La violente vie illuminée entière...
    Je ne puis plus aimer seulement qu’en dormant
    Ses actes gracieux mélangés de lumière.

    Mes jours viennent la nuit me rendre des regards,
    Après le premier temps de...

  • Ni vu ni connu
    Je suis le parfum
    Vivant et défunt
    Dans le vent venu !

    Ni vu ni connu
    Hasard ou génie ?
    À peine venu
    La tâche est finie !

    Ni lu ni compris ?
    Aux meilleurs esprits
    Que d’erreurs promises !

    Ni vu...

  • PENCHÉ contre un grand fleuve, infiniment mes rames
    M’arrachent à regret aux riants environs ;
    Âme aux pesantes mains, pleines des avirons,
    Il faut que le ciel cède au glas des lentes lames.

    Le cœur dur, l’œil distrait des beautés que je bats,
    ...

  • La Pythie, exhalant la flamme
    De naseaux durcis par l’encens,
    Haletante, ivre, hurle !... l’âme
    Affreuse, et les flancs mugissants !
    Pâle, profondément mordue,
    Et la prunelle suspendue
    Au point le plus haut de l’horreur,
    Le regard qui...

  • Du soleil soutenant la puissante paresse
    Qui plane et s’abandonne à l’œil contemplateur,
    Regard !... Je bois le vin céleste, et je caresse
    Le grain mystéri-eux de l’extrême hauteur.

    Je porte au sein brûlant ma lucide tendresse,
    Je joue avec les...

  • Par la surprise saisie,
    Une bouche qui buvait
    Au sein de la Poésie
    En sépare son duvet :

    — Ô ma mère Intelligence,
    De qui la douceur coulait
    Quelle est cette négligence
    Qui laisse tarir son lait ?

    À peine sur ta poitrine,...