Émile Nelligan

  • En une très vieille chapelle
    Je sais un diptyque flamand
    Où Jésus, près de sa maman,
    Creuse le sable avec sa pelle.

    Non peint par Rubens ou Memling,
    Mais digne de leurs galeries ;
    La Vierge, en blanches draperies,
    Au rouet blanc file son lin.

    ...

  • Las d'avoir visité mondes, continents, villes,
    Et vu de tout pays, ciel, palais, monuments,
    Le voyageur enfin revient vers les charmilles
    Et les vallons rieurs qu'aimaient ses premiers ans.

    Alors sur les vieux bancs au sein des soirs tranquilles,
    Sous les chênes...

  • Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l'or massif:
    Ses mâts touchaient l'azur, sur des mers inconnues;
    La Cyprine d'amour, cheveux épars, chairs nues
    S'étalait à sa proue, au soleil excessif.

    Mais il vint une nuit frapper le grand écueil
    Dans l'Océan trompeur où...

  • Comme des larmes d'or qui de mon coeur s'égouttent,
    Feuilles de mes bonheurs, vous tombez toutes, toutes.

    Vous tombez au jardin de rêve où je m'en vais,
    Où je vais, les cheveux au vent des jours mauvais.

    Vous tombez de l'intime arbre blanc, abattues
    Çà et là...

  • Ma mère, que je l'aime en ce portrait ancien,
    Peint aux jours glorieux qu'elle était jeune fille,
    Le front couleur de lys et le regard qui brille
    Comme un éblouissant miroir vénitien !

    Ma mère que voici n'est plus du tout la même ;
    Les rides ont creusé le beau...

  • Dans le puits noir que tu vois là
    Gît la source de tout ce drame.
    Aux vents du soir le cerf qui brame
    Parmi les bois conte cela.

    Jadis un amant fou, voilà,
    Y fut noyé par une femme.
    Dans le puits noir que tu vois là
    Gît la source de tout ce drame...

  • - Oui, je souffre, ces soirs, démons mornes chers Saints.
    - On est ainsi toujours au soupçon des Toussaints.
    - Mon âme se fait dune à funèbres hantises.
    - Ah ! donne-moi ton front, que je calme tes crises.

    - Que veux-tu ? je suis tel, je suis tel dans ces villes,...

  • Octobre étend son soir de blanc repos
    Comme une ombre de mère morte.

    Les chevriers, du son de leurs pipeaux,
    Semblent railler la brise forte.

    Mais l'un s'est tu. L'instrument, de ses lèvres,
    Soudain se dégage à mes pas ;

    Celui-là sait mon amour...

  • Je ne suis qu'un être chétif :
    Tout jeune, m'a laissé ma mère ;
    Je vais errant et maladif :
    Je n'ai pas d'amis sur la terre.

    Seul soutien et seul compagnon
    - Gagne-pain de mes jours très drôle -
    Je n'ai qu'un rude violon,
    Pour gîte, l'ombrage d'un saule....

  • Les bruns chêneaux altiers traçaient dans le ciel triste,
    D'un mouvement rythmique, un bien sombre contour ;
    Les beaux ifs langoureux, et l'yprau qui s'attriste
    Ombrageaient les verts nids d'amour.

    Ici, jets d'eau moirés et fontaines bizarres ;
    Des Cupidons d'...