Nostalgie

 

Oh ! lorsque incessamment tant de caprices noirs
         S’impriment à la rame,
Et que notre Thalie accouche tous les soirs
         D’un nouveau mélodrame ;

Que les analyseurs sur leurs gros feuilletons
         Jettent leur sel attique,
Et, tout en disséquant, chantent sur tous les tons
         Les devoirs du critique ;

Que dans un bouge affreux des orateurs blafards
         Dissertent sur les nègres,
Que l’actrice en haillons étale tous ses fards
         Sur ses ossements maigres ;

Qu’au bout d’un pont très lourd trois cents provinciaux
         Tout altérés de lucre,
Discutent gravement en des termes si hauts
         Sur l’avenir du sucre ;

Que de piètres Phœbus au regard indigo
         Flattent leur Muse vile,
Encensent d’Ennery, jugent Victor Hugo,
         Et font du vaudeville ;

Lorsque de vieux rimeurs fatiguent l’aquilon
         De strophes chevillées,
Que sans nulle vergogne on expose au Salon
         Des femmes habillées ;

Que chez nos miss Lilas, entre deux verres d’eau,
         Un grand renom se forge,
Que nos beautés du jour, reines par Cupido,
         N’ont pas même de gorge ;

Qu’entre des arbres peints, à ce vieil Opéra
         Dont on dit tant de choses,
Les fruits du cotonnier qu’un lord Anglais paiera
         Dansent en maillots roses ;

Que ne puis-je, ô Paris, vieille ville aux abois,
         Te fuir d’un pas agile,
Et me mêler là-bas, sous l’ombrage des bois,
         Aux bergers de Virgile !

Voir les chevreaux lascifs errer près d’un ravin
         Ou parcourir la plaine,
Et, comme Mnasylus, rencontrer, pris de vin,
         Le bon homme Silène ;

Près des saules courbés poursuivre Amaryllis
         Au jeune sein d’albâtre,
Voir les nymphes emplir leurs corbeilles de lys
         Pour Alexis le pâtre ;

Dans les gazons fleuris, au murmure de l’eau,
         Dépenser mes journées
À dire quelques chants aux filles d’Apollo
         En strophes alternées ;

Pleurer Daphnis ravi par un cruel destin,
         Et, fuyant nos martyres,
Mieux qu’Alphesibœus en dansant au festin
         Imiter les Satyres !

Collection: 
1843

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Par le chemin des vers luisants,
De gais amis à l'âme fière
Passent aux bords de la rivière
Avec des filles de seize ans.
Beaux de tournure et de visage,
Ils ravissent le paysage
De leurs vêtements irisés
Comme de vertes demoiselles,
Et ce refrain...

Italie, Italie, ô terre où toutes choses
Frissonnent de soleil, hormis tes méchants vins !
Paradis où l'on trouve avec des lauriers-roses
Des sorbets à la neige et des ballets divins !

Terre où le doux langage est rempli de diphthongues !
Voici qu'on pense à toi,...

A travers le bois fauve et radieux,
Récitant des vers sans qu'on les en prie,
Vont, couverts de pourpre et d'orfèvrerie,
Les Comédiens, rois et demi-dieux.

Hérode brandit son glaive odieux ;
Dans les oripeaux de la broderie,
Cléopâtre brille en jupe fleurie...

Grâces, ô vous que suit des yeux dans la nuit brune
Le pâtre qui vous voit, par les rayons de lune,
Bondir sur le tapis folâtre des gazons,
Dans votre vêtement de toutes les saisons !
Et toi qui fais pâmer les fleurs quand tu respires,
Fleur de neige, ô Cypris ! toi...

Eh bien ! mêle ta vie à la verte forêt !
Escalade la roche aux nobles altitudes.
Respire, et libre enfin des vieilles servitudes,
Fuis les regrets amers que ton coeur savourait.

Dès l'heure éblouissante où le matin paraît,
Marche au hasard ; gravis les sentiers les...