VIII
à M. LE D. DE ***
Jules, votre château, tour vieille et maison neuve,
Se mire dans la Loire, à lâendroit où le fleuve,
Sous Blois, élargissant son splendide bassin,
Comme une mère presse un enfant sur son sein
En lui parlant tout bas dâune voix recueillie,
Serre une île charmante en ses bras quâil replie.
Vous avez tous les biens que lâhomme peut tenir.
Déjà vous souriez, voyant lâété venir,
Et vous écouterez bientôt sous le feuillage
Les rires éclatants qui montent du village.
Vous vivez ! avril passe, et voici maintenant
Que mai, le mois dâamour, mai rose et rayonnant,
Mai dont la robe verte est chaque jour plus ample,
Comme un lévite enfant chargé dâorner le temple,
Suspend aux noirs rameaux, quâil gonfle en les touchant,
Les fleurs dâoù sort lâencens, les nids dâoù sort le chant.
Et puis vous mâécrivez que votre cheminée
Surcharge en ce moment sa frise blasonnée
Dâun tas dâanciens débris autrefois triomphants,
De glaives, de cimiers essayés des enfants,
Qui souillent les doigts blancs de vos belles duchesses ;
Et quâenfin - et câest là dâoù viennent vos richesses, â
Vos paysans, piquant les bÅufs de lâaiguillon,
Ont ouvert un sépulcre en creusant un sillon.
Votre camp de César a subi leur entaille.
Car vous avez à vous tout un champ de bataille,
Et vos durs bûcherons, tout hâlés par le vent,
Du bruit de leur cognée ont troublé bien souvent,
Avec les noirs corbeaux sâenfuyant par volées,
Les ombres des héros à vos chênes mêlées.
Ami, vous le savez, spectateur sérieux,
Jâai rêvé bien des fois dans ces champs glorieux,
Qui, forcés par le soc, eux, vieux témoins des guerres,
à donner des moissons comme des champs vulgaires,
Pareils au roi déchu qui, craignant le réveil,
Revoit sa gloire en songe aux heures du sommeil,
Le jour, laissent marcher le bouvier dans leurs seigles,
Et reçoivent, la nuit, la visite des aigles !
Oh ! respectez, enfant dâun siècle où tout se vend,
Rome morte à côté dâun village vivant !
Que votre piété, qui sur tout veut descendre,
Laisse en paix cette terre ou plutôt cette cendre !
Vivez content ! dès lâaube, en vos secrets chemins,
Errez avec la main dâune femme en vos mains ;
Contemplez, du milieu de tant de douces choses,
Dieu qui se réjouit dans la saison des roses ;
Et puis, le soir, au fond dâun coffre vermoulu,
Prenez ce vieux Virgile où tant de fois jâai lu !
Cherchez lâombre, et, tandis que dans la galerie
Jase et rit au hasard la folle causerie,
Vous, éclairant votre âme aux antiques clartés,
Lisez mon doux Virgile, ô Jule, et méditez !
Car les temps sont venus quâa prédits le poète.
Aujourdâhui, dans ces champs, vaste plaine muette,
Parfois le laboureur, sur le sillon courbé,
Trouve un noir javelot quâil croit des cieux tombé,
Puis heurte pêle-mêle, au fond du sol quâil fouille,
Casques vides, vieux dards quâamalgame la rouille,
Et, rouvrant des tombeaux pleins de débris humains,
Pâlit de la grandeur des ossements romains !