Aie une muse belluaire,
Sinon tu seras dévoré.
Le ciel t'offre un double suaire,
L'un étoilé, l'autre azuré.
Va, revêts-les l'un après l'autre;
Et verse aux hommes, tour à tour,
Justicier sombre ou tendre apôtre,
Tantôt l'ombre et tantôt le jour.
Sois la nuit qui montre les astres;
Puis sois le soleil tout à coup,
Témoin des biens et des désastres,
Eclairant tout, éclipsant tout.
Car tu ressembles au prophète
Qui foudroyait et souriait;
Et ton âme de flots est faite
Comme l'océan inquiet.
Sois par l'aigle et par la chouette
Contemplé dans l'horreur des bois;
Sois l'immobile silhouette;
Sois la lueur et sois la voix.
Le psaltérion formidable
Vibre en tes mains, ô barde roi,
Esprit, poète, âme insondable!
Une aurore est derrière toi.
L'ange en passant te fait des signes;
Les lions te suivent des yeux;
Et, comme sept immenses lignes
S'allongeant de la terre aux cieux,
On voit, grâce à toi qui sais lire
Dans le coeur des hommes mouvants,
L'ombre des cordes de la lyre
Sur tout ce que font les vivants.
10 avril 1876