Certe, ô solitude,
Je suis l'homme rude,
Le songeur viril;
Mais puis-je répondre
De ce que fait fondre
Un rayon d'avril?
L'âme, ô lois obscures,
A des aventures.
Je vis absorbé,
Pensée irritée,
Comme Prométhée,
Comme Niobé;
L'aspect de l'abîme,
La haine du crime,
L'horreur, le dédain,
Mettent dans ma bouche
Un hymne farouche...
Mais parfois, soudain,
Une strophe passe
Emplissant l'espace
D'ébats ingénus,
Et m'arrive, ailée,
Fraîche dételée
Du char de Vénus.
L'exil sombre assiste
A mon hymne triste;
Et je suis amer
Dans ma rêverie,
Comme la patrie
Et comme la mer.
Le sceptre et le glaive
Règnent, je me lève
Pour les réprimer;
Mais suis-je coupable
D'être aussi capable
De rire et d'aimer?
Le barde est prophète;
Mais son âme est faite
De plusieurs clartés.
Dieu n'est Dieu, lui-même,
Que parce qu'il sème
De tous les côtés.
Est-ce donc ma faute ,
Si le soleil m'ôte
Mon deuil par instants?
Est-ce par faiblesse
Que l'âpre hiver. laisse
Entrer le printemps?
Je n'y puis que faire;
Némésis préfère
Certes ma fureur;
Je charme Erinnye
Quand mon vers manie
Un blême empereur;
Je plais à Tacite
Quand je ressuscite,
Emplissant ma voix
De chants populaires,
Toutes les colères
Contre tous les rois;
Sous les nuits tombantes
Les vieux corybantes
Mettaient en courroux
Au bruit de leur cistre
Dans le soir sinistre
Les grands aigles roûx;
Et je leur ressemble
Quand ma strophe tremble,
Sonne, parle aux cieux,
Punit, venge, insulte,
Et semble un tumulte
De cris furieux.
Mais l'esprit s'apaise.
Châtier lui pèse.
O forêts! ciel pur!
Ombre des grands chênès!
Au delà des haines,
Il cherche l'azur.
Comme l'hydre énorme,
Avant qu'elle dorme,
Veut sur l'onde errer,
Les penseurs funèbres
Hors de leurs ténèbres
Viennent respirer.
25 avril.
(II, 20)