XXV
Ne vous effrayez pas, douce mère inquiète
Dont la bonté partout dans la maison s’émiette,
De le voir si petit, si grave et si pensif.
Comme un pauvre oiseau blanc qui, seul sur un récif,
Voit l’océan vers lui monter du fond de l’ombre,
Il regarde déjà la vie immense et sombre.
Il rêve de le voir s’avancer pas à pas.
O mère au cœur divin, ne vous effrayez pas,
Vous en qui, — tant votre âme est un charmant mélange ! —
L’ange voit un enfant et l’enfant voit un ange.
Allons, mère, sans trouble et d’un air triomphant
Baisez-moi le grand front de ce petit enfant.
Ce n’est pas un savant, ce n’est pas un prodige,
C’est un songeur ; tant mieux. Soyez fière, vous dis-je !
La méditation du génie est la sœur,
Mère, et l’enfant songeur fait un homme penseur,
Et la pensée est tout, et la pensée ardente
Donne à Milton le ciel, donne l’enfer à Dante !
Un jour il sera grand. L’avenir glorieux
Attend, n’en doutez pas, l’enfant mystérieux
Qui veut savoir comment chaque chose se nomme,
Et questionne tout, un mur autant qu’un homme.
Qui sait si, ramassant à terre sans effort
Le ciseau colossal de Michel-Ange mort,
Il ne doit pas, livrant au granit des batailles,
Faire au marbre étonné de superbes entailles ?
Ou, comme Bonaparte ou bien François premier,
Prendre, joueur d’échecs, l’Europe pour damier ?
Qui sait s’il n’ira point, voguant à toute voile,
Ajoutant à son œil, que l’ombre humaine voile,
L’œil du long télescope au regard effrayant,
Ou l’œil de la pensée encor plus clairvoyant,
Saisir, dans l’azur vaste ou dans la mer profonde,
Un astre comme Herschell, comme Colomb un monde ?
Qui sait ? Laissez grandir ce petit sérieux.
Il ne voit même pas nos regards curieux.
Peut-être que déjà ce pauvre enfant fragile
Rêve, comme rêvait l’enfant qui fut Virgile,
Au combat que poursuit le poète éclatant ;
Et qu’il veut, aussi lui, tenter, vaincre, et sortant
Par un chemin nouveau de la sphère où nous sommes,
Voltiger, nom ailé, sur les bouches des hommes.
9 juin 1837