Quelques hommes sont nés pour un nouveau Sina,
À d’immortels desseins Dieu les prédestina.
Contre leur volonté tout obstacle se brise.
Ils marquent leur chemin, d’un lumineux sillon,
Et sur leur chef flamboie un lambeau du rayon
Qui couronnait jadis la tête de Moïse.
Dans l’ombre des berceaux ces êtres surhumains
Sentent toucher leur front par d’invisibles mains,
Sentent tomber sur eux comme un baiser d’étoile
Qui leur fait entrevoir les choses à venir,
Car le mystérieux et muet avenir
Pour les prédestinés lève un coin de son voile.
Dès leur prime jeunesse ils cueillent des lauriers.
À la fois laboureurs, apôtres et guerriers,
Ces preux sont emportés par une ardeur divine
Qui leur fait accomplir les plus féconds travaux.
Ils cherchent constamment des horizons nouveaux ;
Le combat les séduit, le danger les fascine.
Disant à leurs foyers un éternel adieu,
Au bout de l’univers ils vont lutter pour Dieu,
Et l’œil de Jéhovah avec amour regarde
Ces soldats qui se font de la croix un rempart ;
Partout du saint progrès ils portent l’étendard
Et de l’humanité composent l’avant-garde.
Ils rêvent d’agrandir la terre des aïeux.
Pour les guider, sans fin brille un but radieux.
Ils vont le front toujours tourné vers quelque cime.
Ils marchent, et l’erreur devant eux disparaît,
Ils parlent, et l’on voit s’incliner la forêt,
S’entr’ouvrir la montagne et frissonner l’abîme.
Ils tiennent des flambeaux que rien ne fait pâlir.
Ils ne soupçonnent pas ce que c’est que fléchir.
En vain la mort les guette et la faim les torture,
Ils combattent sans trêve, enchaînés au devoir ;
Et ces nobles vaillants semblent parfois avoir
Le culte du haillon, l’amour de la blessure.
Nul ne peut conquérir de pareils conquérants ;
Et, comme à l’horizon quelques chênes géants
Dominent de leur cime ondoyante et sereine
Une futaie ombreuse et pleine de verdeur,
Les vrais héros chrétiens dépassent en splendeur
Les arbres les plus fiers de la forêt humaine.