Puisque je suis étrange au milieu de la ville,
Puisque je veux la vie amère et jamais vile,
Puisque je me dévoue avec stupidité ;
Puisqu’improvisant tout, j’ai tout prémédité,
N’ayant d’autres éclairs que ceux de mon cratère,
Et ne parlant qu’après avoir voulu me taire ;
Puisque je déraisonne à ce point de penser
Que l’ouragan ne doit rugir que pour bercer,
Que la victoire aimante est la seule victoire,
Qu’un lever d’astre plaît à la nuit la plus noire,
Et qu’un peu de clémence est nécessaire après
La sanglante arquebuse et les noirs couperets ;
Puisque j’ose affirmer je ne sais quelles règles
D’apaisement des vents, que connaissent les aigles,
Mais que jamais Néron ni Séjan ne comprit ;
Puisqu’assez de folie entre dans mon esprit
Pour que j’en vienne à dire aux hommes qu’ils sont frères,
Qu’ils ont le même but, malgré les flots contraires,
Que tout, sur terre, au ciel, là-haut comme ici-bas,
Les tempêtes, les chocs furieux, les combats,
Tout doit, les profondeurs étant des harmonies,
S’évanouir dans l’ombre en douceurs infinies ;
Puisque je crois que l’homme est meilleur, pardonné ;
Puisque je m’attendris au cri d’un nouveau-né
À qui l’exil, voleur féroce, a pris son père ;
Puisque je dis qu’il faut, pour que l’état prospère,
Civiliser le riche autant que l’indigent,
Qu’il faut panser l’ulcère, et qu’il est moins urgent
De punir les effets que de guérir les causes ;
Puisque je perds mon temps à répéter ces choses,
Et puisqu’on ne veut pas même en faire l’essai,
Laissez-moi retourner à mon noir Guernesey.
Là point de lâcheté, là point de bâtardise ;
Là je pense, et ne vois rien qui me contredise,
Et librement je marche et respire, et je vis,
Le grand océan sombre étant de mon avis.