I
Oh ! si quelqu’un l’aimait ! — De son âme ulcérée
Un baiser éteindrait la voix désespérée
Et l’amer souvenir ;
Oh ! si quelqu’un l’aimait ! — Ses lâches défaillances
Reviendraient boire aux flots des divines croyances
Que rien ne peut ternir ;
Oh ! si quelqu’un l’aimait ! — Comme un vaste incendie
Il voudrait que son nom sur la terre agrandie
Flambât dans l’avenir !
II
Mais qui les aimerait, les rimeurs solitaires,
Au regard fixe et triste, aux visages austères,
Au front pâle et pensif ;
Une étoile éternelle illumine leur marche,
Pendant que les mortels sentent sombrer leur arche
Au choc sourd du récif ;
Ils traversent la vie en suivant leur étoile,
On les voit passer, seuls, — comme on voit une voile
Au travers d’un massif.
III
Ils n’ont jamais d’amis, car leur regard est triste,
Et la femme répond à leur amour d’artiste
Par des rires moqueurs ;
Au travers des cités que le lucre lacère
Ils s’en vont en cachant sous leurs haillons l’ulcère
Qui dévore leurs cœurs ;
Sans avoir éveillé ni l’amour ni la haine
Ils meurent inconnus dans les bruits de l’arène,
Ni vaincus, ni vainqueurs !