La Mère et l’enfant

 
Nos ancêtres, sortis de la vieille Armorique,
Après un siècle entier d’une lutte homérique,
Aux plaines d’Abraham succombèrent enfin,
Écrasés par le nombre et vaincus par la faim,
Louis quinze étant sourd aux longs cris de souffrance
Qui s’élevaient des bords de la Nouvelle-France.
Et nous fûmes conquis. Que dis-je ? les vainqueurs
Eurent notre serment, mais la France eut nos cœurs.
Et, malgré son oubli, comme un fils est capable
De respecter encore une mère coupable,

Aucun de nous n’osa jamais la renier,
Car la maternité ne peut pas s’oublier,
Car l’amour filial ne connaît pas l’absence,
Et nous l’aimons toujours, parce qu’elle est la France,
Parce que notre sang dans ses veines coulait,
Et parce que son sein nous a versé son lait.

Qu’importe l’abandon ! qu’importe la distance !
Qu’importent les brouillards de l’Océan immense !
Nous la voyons en haut, le front dans la clarté,
Dans le rayonnement de la sublimité,
Secouant sur le monde un faisceau de lumières,
Et, malgré les éclats farouches des tonnerres
Que font souvent gronder les noirs événements,
Nous l’entendons parler avec des mots charmants,
Plus suaves qu’un chant d’oiseau que l’aube éveille,
Comme si nous avions sa bouche à notre oreille,
Non, la France à nos yeux ne se voile jamais.
Toujours nous la voyons sur les plus fiers sommets,
Versant des feux divins à l’Europe ravie.
Et quand le sort jaloux un matin l’eut trahie,

Quand les peuples voisins, ne sachant ce qu’ils font,
Sur sa croix l’insultaient et lui crachaient au front,
Que le Teuton vainqueur, ivre de son désastre,
Espérait voir mourir à l’horizon son astre,
Elle nous apparut soudain sur un Thabor
Dont l’éclat fulgurant nous éblouit encor !…
La France ! c’est pour nous la mamelle féconde
Où, dans sa soif sans fin, boit la lèvre du monde,
L’œil qui dans les brouillards du temps voit tout venir,
Le bras qui guide au port la nef de l’avenir,
Le doigt qui fait tourner les feuillets du grand livre
Où, cherchant l’idéal, l’esprit humain s’enivre.

Voilà plus de cent ans que la France a livré
Aux Anglais triomphants son enfant éploré.
Cet enfant a grandi ; c’est un homme robuste
Qui porte écrite au front son origine auguste.
Longtemps il a souffert, longtemps il a lutté
Contre le servilisme et la nécessité.
Maintenant il est riche, il est fier, il est libre ;
Aux souffles entraînants du progrès son cœur vibre ;

Il combat les forêts énormes corps à corps,
Il crée, il fonde, il est superbe en ses efforts ;
Il fut le découvreur, le soldat et l’apôtre,
Et traça son sillon d’un océan à l’autre.
Évoquant un passé que rien ne sut ternir,
Il marche hardiment, les yeux sur l’avenir,
Il verse à l’Amérique un long jet de lumière…
Et désormais l’enfant est digne de la mère.

Collection: 
1904

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