Les Mains

 
L’incendie agonise au fond du palais sombre...
L’énigme de ma vie et celle de mon ombre
Côte à côte s’en vont sous les lambris éteints,
Et, des murs calcinés où la cendre s’effeuille,
Comme des mains de paix dont le geste m’accueille,
Sortent confusément les mains de nos destins.

Sous les plafonds obscurs, où tâtonnent nos lampes,
Des doigts cherchent nos doigts sur l’usure des rampes,
Des ongles, s’agriffant au col de nos manteaux,
Glissent sans retenir la trame qui s’éraille,
Et nos pas étonnés, dont le rythme nous raille,
Frappent le clair silence ainsi que des marteaux.

La nef insidieuse a peuplé ses travées
De faces de médaille étrangement gravées,
Ainsi qu’au plus profond de nos songes défunts ;
Nous aspirons l’air chaud de nos vieilles pensées,
Et du tiède sommeil des urnes renversées
S’échappe la douleur ancienne des parfums.

Le dédale anxieux des voûtes sans issue
Se multiplie en la futaie inaperçue
Des piliers, et voici que des bras plus nombreux,
Tendus pour menacer nos veilleuses fidèles,
Font frissonner, ainsi que de brusques coups d’ailes,
La flamme vacillante et triste de nos yeux.

O Mains de l’inconnu qui frôlez nos détresses !
Mains effrayantes, Mains pâles, Mains charmeresses,
Vous qui tentez nos mains sans jamais les saisir,
Venez-vous, vous aussi, des profondeurs de l’être,
Ou bien nous faites-vous seulement apparaître,
Dans notre illusion, notre propre désir ?

Est-ce pour nous sauver ? est-ce pour nous conduire
Que vous nous appelez et semblez nous séduire ?
Ou, larves de mensonge au malfaisant savoir,
Nous menez-vous vers des salles noires d’abîmes,
Pour que bâille, sous vos confiantes victimes,
Le puits où s’endort l’eau morte du désespoir ?

Collection: 
1885

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