Lettre

Est-ce que, ce mois-ci, des miens et des meilleurs,
Quelqu’un est mort, pendant que je regarde ailleurs ?
Est-ce que par hasard, sur la colline verte,
Quelque tombe de mère ou d’enfant s’est ouverte ?
Ami, pourquoi me plaindre aujourd’hui plus qu’hier ?
Ai-je, sans le savoir, perdu quelqu’un de cher ?

Jadis j’eus des douleurs et je les ai pleurées ;
Les larmes du tombeau sont des larmes sacrées ;
Sur de profonds cercueils pleins de ciel étoilé,
Tous les pleurs que j’avais dans les yeux ont coulé.
Ce fut sombre.

Aujourd’hui, qu’est-ce donc qui m’arrive
Que ta pitié s’accroît ? Je suis sur cette rive ;
Après ? Et d’où te vient ce langage abattu ?
Tu m’écris : « Ô banni, comment les portes-tu,
Ces heures de l’exil qui doivent être lourdes ? »

Tout est bien. Je n’ai rien à dire aux âmes sourdes.
D’ailleurs porté-je donc un si pesant fardeau ?
Le vent souffle sur l’homme et sur la goutte d’eau.
Laissons souffler le vent. Qu’importe ce que souffre
Mon atome, au hasard emporté dans le gouffre ?
D’autres ont plus souffert qui valaient mieux que moi.
Tout est bien.

                            Vivre errant, rejeté, hors la loi,
L’ombre, l’isolement, l’ennui qu’on exagère,
Cette glace qu’on sent à la terre étrangère,

Tout cela ne vaut pas qu’on fronce le sourcil.
Crois-tu pas que je vais pleurnicher mon exil ?

Tu me dis : « Vous voilà dans la froide Angleterre. »
Et moi je dis : ― Salut au vieux rivage austère !
À Londre où, quand Milton parle, Cromwell répond ! ―
Tu reprends : ― « Comment sont ces étrangers ? »

                                                              Ils sont
Les étrangers. Ils ont leurs soucis, leurs colères,
Leurs intérêts, leurs mœurs ; ce sont des exemplaires
Du vieil homme Adam, l’un sur l’autre copiés.
Dieu mit sur tous les fronts l’azur, mais sous ses pieds
L’homme a fait de la terre une chose diverse.
La fraternité meurt au fleuve qu’on traverse ;
On passe un bras de mer, on enjambe un chemin,
On saute un mur, on est sorti du genre humain ;
On devient l’étranger. Nous le sommes. La foule
Autour de nous va, vient, fait ses affaires, coule.
L’idée est peu comprise à son avènement ;
Elle monte un calvaire et marche lentement ;
Je ne vois pas pourquoi ces hommes seraient autres
Que ceux qu’a vus Socrate et qu’ont vus les apôtres.
Ô mes amis, proscrits qui m’entourez, restons
Comme les Thraséas et comme les Catons,
Sereins, et sachons prendre en patience l’homme.
Ceux-ci d’ailleurs n’ont rien que de tout simple, en somme.
Nous sommes les passants, ils sont les habitants.
Aristide jusqu’à nos jours, dans tous les temps,
Le proscrit pour la foule est une énigme obscure.
On ne nous crache pas encore à la figure ;
Donc ne nous plaignons point.

Tu me dis : ― « Dans ces lieux
Où nous te cherchons, toi, le songeur oublieux,

Que fais-tu ? »
                          Je vois Dieu.

                                                    Je suis l’homme des grèves ;
La nuit je fais des vers, le jour je fais des rêves.
Je lis les vieux lutteurs, Dante, Agrippa, Montluc.
Souvent, quand minuit sonne au clocher de Saint-Luc,
Je médite, menant dans les zones bénies
De soleils en soleils cent lignes infinies,
Reliant dans l’azur les constellations,
Architectures d’ombre et d’yeux et de rayons,
Frontons prodigieux des célestes Solimes.
Mon esprit, combinant ces triangles sublimes,
Fait, comme Orphée à Delphe et Jacob dans Endor,
Une géométrie avec les astres d’or.

Ainsi s’en vont mes jours. Assis au bord des ondes,
Je contemple la mer dont les houles profondes
Ne s’arrêtent jamais, tumultueux troupeaux
Bondissant jour et nuit sans halte et sans repos ;
Et nous nous regardons, moi rêveur, elle énorme ;
Elle attend que je pleure et j’attends qu’elle dorme.

Collection: 
1908

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