Le Parnasse contemporain/1866/Polichinel

J’ai pour Polichinel un fond de vieille haine :
Ce méchant contrefait rend la gaîté malsaine,
Et Guignol est un sot, l’ayant choisi bossu,
Et le montrant brutal, de l’avoir fait cossu.
Quel profit pour le goût de nos chers petits singes !
C’est la difformité qui porte les beaux linges.
Et quel exemple aussi ! ce pourpoint brodé d’or
Orne à ses yeux jaloux les méfaits d’un butor !
Le pantin est affreux, mais qu’importe, il est riche :
Il bat les innocents, voyez la bonne niche !
Il reçoit la morale à grands coups de sabot,
Et pour prouver son droit, il bredouille, est-ce beau !
— Aux dépens d’un vieux chat, apprenez, jeunes drôles,
Qu’à jouer du bâton on tient les premiers rôles ;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Il me souvient qu’étant un soir chez Séraphin,
Enfant, je dus quitter la salle avant la fin.
D’abord, j’avais eu peur de ce monstre à deux bosses
Que mes voisins fêtaient dans leurs gaîtés féroces ;
Mais quand Polichinel se rua sur les gens,
Eux, mes voisins, jetaient des cris encourageants ;
Mais, moi, les poings fermés, pris tout à coup de rage,
Ne pouvant l’étrangler, je lui lançais l’outrage…

Collection: 
1971

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