Le Parnasse contemporain/1869/Dans l’herbe

Par un bienfait des destinées,
D'accord avec ma grand’ maman,
J’ai vécu mes jeunes années
Sur le pâtis de l’Isle-Adam.

J’ai poussé dans de l’herbe folle,
Comme un modeste liseron.
Je gaminais, après l’école,
Avec le trèfle & le mouron.

Quand je partis pour le collége,
Les moindres brins, mes chers amis,
Semblaient me plaindre. Où donc allais-je ?
Où le gazon n’est guère admis.

Depuis lors j’ai couru le monde,
J’ai rendu mon sort orageux.
Ah ! que ma course vagabonde
M’a conduit loin des premiers jeux !

Après quarante ans de tumulte,
Rassasié d’heur & malheur,

Je renais doucement au culte
Des pâtis dont l’herbe est en fleur.

Dès qu’un regret me décourage,
Mon ennui prend la clef des champs ;
Je m’en vais dans un pâturage
Retrouver mes premiers penchants.

Je m’étends parmi les fleurettes ;
Les petits bouquets tout joyeux
Dressent leurs pompons, leurs aigrettes,
Pour me regarder dans les yeux.

Ces bonnes gens de l’humble flore
Semblent m’appeler par mon nom ;
Car chacun se souvient encore
De m’avoir eu pour compagnon.

Camarades de mon enfance,
Ô vous qui me reconnaissez !
Brins d’herbe, prenez ma défense
Contre l’ennui des jours passés.

Collection: 
1971

More from Poet

  • Maître Watteau, dans l’art d’agrémenter un rêve,
    Je suis votre confrère & non pas votre élève.
    Vraiment, si j’empruntais la règle de mon goût,
    Je la devrais aux Grecs, à leurs marbres surtout.
    Inhabile à tirer profit des biens d’un autre,
    Je vis de mon caprice...

  • Eh quoi ! votre printemps sourit à mon automne,
    Y pensez-vous, jeune beauté !
    J’ai l’âge où les ardeurs ont besoin d’une tonne ;
    Il faut à boire à ma gaîté....

  • Par un bienfait des destinées,
    D'accord avec ma grand’ maman,
    J’ai vécu mes jeunes années
    Sur le pâtis de l’Isle-Adam.

    J’ai poussé dans de l’herbe folle,
    Comme un modeste liseron.
    Je gaminais, après l’école,
    Avec le trèfle & le mouron.

    Quand...

  • J’ai pour Polichinel un fond de vieille haine :
    Ce méchant contrefait rend la gaîté malsaine,
    Et Guignol est un sot, l’ayant choisi bossu,
    Et le montrant brutal, de l’avoir fait cossu.
    Quel profit pour le goût de nos chers petits singes !
    C’est la difformité qui...

  • Emporté ce matin par un dernier sommeil,
    Je guidais, dans mon rêve, un quadrige en ivoire ;
    Ce char resplendissant trouble encore ma mémoire,
    Avec ses chevaux blonds, tels que ceux du soleil.

    Au Dieu qui fait le jour je me trouvais pareil :
    Tous les crins...