Puisque tu viens, Épouse austère,
Immortelle et sainte Raison,
Châtier des dieux de la Terre
L’inconsciente trahison,
Dépouille, ô flamme solitaire,
La sombre forêt du mystère
De sa malsaine frondaison,
Et chasse l’ombre délétère
Des désirs dont la brume altère
Le cercle entier de l’horizon.
Mes mains au vol ont pris la trombe
Des rêves qui troublaient mes sens,
Et mon âme sera la tombe
De leur foule aux cris impuissants :
Que sur les captifs qu’il surplombe
Le roc de mon vouloir retombe,
Et que les souffles mugissants,
Où, dans un orage, succombe
Le courroux de leur hécatombe,
Fument vers toi comme un encens.
Et, de ce sol, que leur supplice
Consacre pour ton culte pur,
Je veux qu’à mes accents jaillisse
L’assise du temple futur :
Qu’un linceul de pierre complice
À tout jamais ensevelisse
Les destins de mon songe obscur,
Pour qu’attestant le sacrifice,
Les murs du suprême édifice
Éclairent le suprême azur.
Vaincu, je suis encor le maître
De qui les terribles travaux,
Dignes de l’athlétique ancêtre
Des races dont je me prévaux,
Au frein sacré savent soumettre
Du rythme, du nombre et du mètre
Les fougueux et divins chevaux,
Et peuvent, pour les temps à naître,
Appeler aux gloires de l’être
La strophe aux quadriges rivaux,
Et ma force accepte t’augure
De cette aurore pleine d’yeux,
Où le chœur des odes fulgure
De l’or des buccins radieux,
Où, des visions que j’abjure
Repoussant vers la nuit obscure
La foule aux regards odieux,
Frissonne l’immense envergure
Du Verbe en qui se transfigure
La face morte de mes Dieux.
Pour Celle dont la main délivre
Quiconque a reconnu ses lois
Éveillez-vous, vous dont s'enivre
L’auguste majesté des bois,
Paroles d’or, hymnes de cuivre,
Que l'aile des vents ne peut suivre !
Et toi, qui vibres et qui vois,
Esprit de la pierre et du livre,
Souffle sans qui rien ne peut vivre,
Ame des lyres et des voix,
Toi, que vainement répudie
L’exacte et sévère beauté,
Gardant, en ses voiles roidie,
L’inexorable vérité,
Chante, et gronde, et sois l’incendie,
D’où surgira, haute et hardie,
L’immortelle et calme cité,
Que, dans ma pensée agrandie,
Ma libre volonté dédie
À la dernière Déité.