Le Foudroyé

 
Je suis tombé des cieux ardents de ma pensée,
Et je gis, faible et nu, sous la haine glacée
Du seuil où se brisa l’orgueil des chars de feu,
      Comme, en l’horreur qui le protège,
Gît le cadavre foudroyé du sacrilège
Qu’ont jeté dans la nuit les vengeurs de leur Dieu.

J’ai voulu m’évader de moi-même, et connaître
La réalité pure et l’essence de l’être ;
Et, partout, mon espoir obstiné s’est heurté
      Aux formes mêmes de mon songe,
Me renvoyant, en perspectives de mensonge,
Mon spectre à l’infini par elles reflété.

L’illusion sensible en ses mailles m’enserre ;
Je n’en ai pas rompu le réseau nécessaire,
Je n’ai pu rejeter, comme un triste linceul,
      Sa trame subtile et tenace,
Qui, sur ma conscience, épaissît la menace
D’un monde aveugle où l’Homme à l’Homme apparaît seul.

Je suis vaincu : j’ai vu, de ténèbres chargée,
Se fermer sur mon front la nue interrogée ;
Et l’Esprit, qui se lève en moi, fut impuissant
      À dissiper l’ombre qui monte,
En tourbillons de vie instinctive et de honte,
De l’autel de mon cœur toujours rouge de sang.

Et là-bas, la terreur des arches défendues
Garde, sous la Nuit sainte aux ailes étendues,
Plus loin que mon rêve et plus haut que ma raison,
      Aux confins sacrés du problème,
Malgré tout l’inconnu que je sens en moi-même,
Le secret interdit du suprême horizon.

Collection: 
1885

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