A l’œuvre donc, ô sombre et pur esprit humain !
Debout ! Rhéteurs couchés dans les fleurs du chemin,
Sages assis sous les grands arbres de la route !
Empédocles de la connaissance, debout !
A l’horizon sanglant le volcan gronde et bout ;
Que vos pieds, secouant la poussière du doute,
Sans que tremblent les os ou blêmisse la chair,
Chaussent du héros mort les sandales de fer.
Vers le mont embrasé dont frissonnent les pentes,
Marchez ! L’impiété fut agréable aux dieux
De celui qui tenta ces sommets, dédaigneux
Des basaltes sifflants et des laves rampantes.
Et s’il a succombé sous un ciel ennemi,
Si les noirs soupiraux de l’abîme ont vomi
Sa cendre calcinée à la face des astres,
La Mémoire, inutile au deuil de tels désastres,
Ne saura pas vous dire, ô vivants d’aujourd’hui !
De quel suprême orgueil ses yeux mourants ont lui.
Seul, le Martyr est grand qu’un sort aveugle accable,
Et qui, les bras levés vers l’azur implacable,
Sachant que de son sang fécond devra germer
La semence à venir des hautes découvertes,
Se drape au flux vermeil de ses veines ouvertes,
Et, souffrant sans se plaindre, est mort sans blasphémer.
Mais, si sa volonté, par ses affres trahie,
Se sentit par le froid de l’angoisse envahie,
Ses fils pieux devront l’ignorer, et du moins,
S’il a faibli devant la révolte des choses,
Son sépulcre de feu n’a, sous ses voûtes closes,
Scellé qu’un désespoir digne de tels témoins.
Le Héros à sa race a légué son exemple.
Mais le bûcher plus haut fait la pourpre plus ample :
La lyre antique avait sept voix, et sept flambeaux
Illuminaient jadis l’éther. Notre pensée,
Par le monde entrouvert à nos yeux dépassée,
Promet son nouveau ciel à des rythmes nouveaux.
A l’œuvre donc, ô sombre et pur Esprit de l’Homme !
A l’œuvre ! jusqu’au jour encore inaperçu,
Où, du possible en toi réalisant la somme,
Tu te reposeras dans l’infini conçu.
Tu sais que désormais l’unique récompense,
Qui t’attend dans les cieux du secret dévoilé,
Sera, dans le moment exact où ce qui pense
S’absorbera dans l’être à toi-même égalé,
L’arrêt instantané, sur le cadran du monde,
Du stylet, jusqu’alors impossible à fixer,
De qui le pas fatal, de seconde en seconde,
Mesure ton devoir et t’oblige à penser.
Et, délivré de l’âpre aiguillon qui te presse,
Du vouloir nécessaire et de l’effort moral,
Tu te confondras en l’immobile sagesse,
Total inconscient du savoir intégral.