LE ciel sombre est troué d’étoiles qui frémissent.
Sur la neige, en chantant, les traîneaux légers glissent.
Un peu de lune pâle aux fenêtres paraît.
Le silence est profond, apaisant et secret.
Amicalement ; l’ombre en ma chambre est entrée,
Et mon âme, aussitôt de calme pénétrée,
A son charme puissant, docile, se livra,
Et dans l’oubli nocturne, indolente, rêva…
Le tic-tac régulier de l’horloge hâtive
Rythmait les pas égaux de l’heure fugitive ;
Et pour mieux voir surgir les souvenirs aimés,
Je me tenais, comme endormi, les yeux fermés…
* * *
O fantômes d’amour, apparitions chères
Qui gardez le passé dans vos prunelles claires ;
Lèvres au parler doux qui disiez vos douleurs
En un baiser encor tout tremblant sous les pleurs ;
Femmes par qui la vie était une promesse ;
Mains de sollicitude et regards de caresse ;
Longs attendrissements du cœur, ivre d’orgueil
Au sourire adoré du triomphal accueil !…
Regrets des bras tendus soudainement, asile
D’où le sort, en un jour funeste, nous exile !
Et me voila rêvant, plein d’amertume, à vous,
Tendresses d’autrefois, bonheurs, grands espoirs fous !
* * *
Pourquoi les jours heureux dont plus rien ne subsiste
Par l’évocation rendent-ils l’âme triste ?
Si la mémoire, hélas ! n’en peut ressusciter
L’ancienne jouissance et la félicité
Sans en pleurer toujours la perte irréparable,
Et si leur souvenir fait l’homme misérable,
Mieux vaudrait retrancher, héroïque et sauveur,
La moitié de la vie et la moitié du cœur !
Ah ! le présent brutal dans son étau nous broie :
Si le passé pouvait nous rendre un peu de joie
En un songe incertain de sommeil commencé,
Qui nous prit l’âme avec douceur, sans la blesser !