I
Si nous terminions cette guerre
Comme la Prusse le voudrait,
La France serait comme un verre
Sur la table d'un cabaret ;
On le vide, puis on le brise.
Notre fier pays disparaît.
O deuil ! il est ce qu'on méprise,
Lui qui fut ce qu'on admirait.
Noir lendemain ! l'effroi pour règle ;
Toute lie est bue à son tour ;
Et le vautour vient après l'aigle,
Et l'orfraie après le vautour ;
Deux provinces écartelées ;
Strasbourg en croix, Metz au cachot ;
Sedan, déserteur des mêlées,
Marquant la France d'un fer chaud ;
Partout, dans toute âme captive,
Le goût abject d'un vil bonheur
Remplace l'orgueil ; on cultive
La croissance du déshonneur ;
Notre antique splendeur flétrie ;
L'opprobre sur nos grands combats ;
L'étonnement de la patrie
Point accoutumée aux fronts bas ;
L'ennemi dans nos citadelles,
Sur nos tours l'ombre d'Attila,
De sorte que les hirondelles
Disent : la France n'est plus là !
La bouche pleine de Bazaine,
La Renommée au vol brisé
Salit de sa bave malsaine
Son vieux clairon vertdegrisé ;
Si l'on se bat, c'est contre un frère ;
On ne sait plus ton nom, Bayard !
On est un assassin pour faire
Oublier qu'on fut un fuyard ;
Une âpre nuit sur les fronts monte ;
Nulle âme n'ose s'envoler ;
Le ciel constate notre honte
Par le refus de s'étoiler ;
Froid sombre ! on voit, à plis funèbres,
Entre les peuples se fermer
Une profondeur de ténèbres
Telle qu'on ne peut plus s'aimer ;
Entre France et Prusse on s'abhorre ;
Tout ce troupeau d'hommes nous hait ;
Et notre éclipse est leur aurore,
Et notre tombe est leur souhait ;
Naufrage ! Adieu les grandes tâches !
Tout est trompé ; tout est trompeur ;
On dit de nos drapeaux : Ces lâches !
Et de nos canons : Ils ont peur !
Plus de fierté ; plus d'espérance ;
Sur l'histoire un suaire épais... -
Dieu, ne fais pas tomber la France
Dans l'abîme de cette paix !