Aux sages à venir

 
Mais quand vous reviendrez du profond de vos veilles,
Maîtres de la pensée et du savoir futurs,
O calmes découvreurs des suprêmes azurs,
Quand, las du faix conquis des lointaines merveilles,

Lourds des derniers secrets des derniers univers,
Vous déploierez, pour les nations étonnées,
Devant le peuple humain, roi de ses destinées,
Les registres du monde à ses regards ouverts,

Quand vous redescendrez dans la cité de gloire
Où les vivants d’alors pour vous s’assembleront,
Quand, princes de ces temps, le diadème au front,
Déjà sacrés par le génie et la victoire,

Vous laisserez tomber, comme d’un firmament,
Sur la muette nuit des parvis et l’attente
De la foule pieuse à vos pieds haletante,
Du mystère vaincu l’entier enseignement ;

Alors vos lyres, en des rythmes, dont la langue,
Au marbre le plus pur qu’aient autrefois sculpté
Les prêtres somptueux de l’antique beauté,
Sommeille encore, ainsi que la gemme en sa gangue,

Vos lyres, dans les vents qui se tairont, ainsi
Que font silence les multitudes profondes,
Jetteront des accents aux grandissantes ondes,
Et qui diront des mots comme ceux que voici :

« Les ombres du problème ont déserté les cimes
Où l’esprit impuissant si longtemps a rêvé,
Et, des splendeurs des pics à l’horreur des abîmes,
Le voile entier d’Isis, par nos bras soulevé,
N’est plus qu’un haillon mort qu’emportera l’orage,
Et dont se vêtira, sur quelque étrange plage,
La détresse éblouie ou la honte sauvage
      Des mondes qui l’auront trouvé.

« Nos yeux ont vu plus loin que le ciel et la vie :
Des éléments captifs étreignant le faisceau,
L’Homme désormais règne, et la Terre asservie
Tressaille sous nos pas comme un pont de vaisseau.
En vain l’immensité tourne comme une roue,
Nous connaissons la route, et, penchés à la proue,
Nous guidons dans l’éther, que son sillage troue,
      L’astre qui fut notre berceau.

« Si nos aïeux, dompteurs de bœufs et de cavales,
Sentaient se rallumer pour nous leurs yeux éteints,
Ils pourraient admirer, dans nos nuits triomphales,
A l’heure où s’assemblaient leurs songes incertains.
Seuls quadriges qui soient dignes de nos arènes,
Les chevaux du soleil entravés dans nos plaines,
Et, courbé sous le joug de nos mains souveraines,
      L’attelage de nos destins ».

Lorsque retentiront des paroles pareilles,
De quel effroi nouveau seront-ils donc glacés,
Ces survivants debout parmi tant de passés,
Et de quelles clameurs s’empliront leurs oreilles !

« Si l’inconnu n’est plus qu’un sépulcre comblé,
Si l’hydre de l’abîme a clos ses mille gueules,
Si les pôles tournants, dont les géantes meules
Broient les soleils épars comme des grains de blé,

Désormais dans nos mains sont des leviers dociles
De qui notre pouvoir a maîtrisé l’effort,
Si, par delà le phare allumé de la mort,
L’océan du secret nous a livré ses îles ;

Si, dignes héritiers des antiques aïeux
Qui vainquirent la foudre et soumirent ta Terre,
Nous avons exploré l’orbe entier du mystère,
Et fait parler enfin le sphinx silencieux ;

Si vous ne nous laissez, Rois de l’ombre abolie,
Maîtres nimbés des feux du suprême savoir,
Plus rien à désirer et plus rien à vouloir,
Si tout est consommé de la tâche remplie,

Que nous sert-il de vivre et d’être désormais ?
Et puisque l’heure sonne où notre solitude
Se fige en immobile et blanche certitude,
Regardez en bas, et voyez de vos sommets,

Vous dont les torches d’or ne sont que de la cendre,
Dédaigneuse d’un ciel où l’infini muré
Ne répond plus à son rêve démesuré,
La vieille Humanité sur sa couche s’étendre,

Et, devant l’œuvre faite où tout va s’accomplir,
Sous les astres témoins de sa seule présence,
Dans l’inutilité de sa toute-puissance
L’Esprit de l’Homme en lui-même s’ensevelir !

Mais que son cri dernier vers vos tombes célèbres
Monte, et que votre nom soit enfin réprouvé,
Princes de notre orgueil, qui n’avez rien trouvé
Dans l’absolu conquis qu’un néant sans ténèbres !... »

Collection: 
1885

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