L’Augusta très-divine est la sœur de l’aurore.
Elle est fraîche comme elle et comme elle se plaît,
Dès l’heure où l’horizon frissonne et se colore,
À fuir la chambre close où la nuit l’exilait.
Par les couloirs de marbre où filtre un jour bleuâtre.
Par l’escalier béant aux degrés smaragdins,
Par les salles où l’eau pleure aux bassins d’albâtre,
L’Augusta passe et va vers les secrets jardins.
Dans sa jeunesse heureuse et sa liberté brève,
Foulant la poudre d’or qui sable le chemin,
Seule dans la clarté palpitante, elle élève,
Comme un sceptre léger, une fleur dans sa main.
Miroir fragile, où dort l’ombre verte des palmes,
Un lac pur arrondit sa coupe de saphir,
Et des cygnes neigeux cinglent sur les eaux calmes
Tels que de blancs vaisseaux que pousse un frais zéphyr.
L’abeille, qui s’échappe en bruissant des ruches,
Boit les jeunes parfums des calices ouverts ;
Par-dessus les treillis argentés, des autruches
Dressent leur tête chauve et mordent les fruits verts.
Au bord des piédestaux tendant leurs gorges bleues,
Des paons font brusquement s’élargir au soleil
Et vibrer tout le ciel étoile de leurs queues ;
L’ibis lisse sa plume en un frisson vermeil.
Tout s’éveille, rayonne, aime, fleurit, embaume :
Le cœur de l’Augusta s’enivre du matin ;
La rose livre au vent son plus subtil arôme :
Le cœur de l’Augusta vole au pays lointain.
Au pays fabuleux dont la beauté l’invite,
Son rêve, avec les nefs, fuit sur la golfe amer ;
Et joyeuse, accoudée aux balustres d’ophite,
L’Augusta voit le ciel descendre dans la mer.
Elle contemple au loin Byzance et ses collines.
Les églises en croix et les dômes cuivrés
Et, s’étageant là-bas, du côté des salines,
Les cirques lumineux et les remparts dorés.
Tout, la nature en fête et la Ville et l’Empire,
Trésors que l’œil pensif se lasse à dénombrer,
Tout ce qui charme, luit, s’épanouit, respire,
Naît pour vêtir sa gloire et vit pour l’adorer.
Mais voici qu’au doux bruit des ailes et des ondes,
Aux chants de l’aube éclos parmi la frondaison,
Le sourd frémissement des foules vagabondes
Se mêle dans l’aurore et monte à l’horizon.
Et soudain l’Augusta songe qu’il est des hommes
Dont le commun destin souffle les vains flambeaux,
Et que les murs vantés des Milans et des Romes
Sont des abris d’un jour bâtis sur des tombeaux.
Adieu, clarté naissante, allégresse première,
Limpides voluptés, formes, parfums, couleurs.
Adieu ! L’ombre future obscurcit la lumière ;
La mort, comme un aspic, a jailli dans les fleurs.
L’Augusta dans la nuit qui flotte en sa prunelle
Suit la fuite de l’heure et des sorts inconstants ;
Car vers l’instant fatal la clepsydre éternelle,
Sûre, lente, sans fin, pleure les pleurs du Temps.
En un pompeux cortège, aux murmures funèbres
Des moines de l’Euxin, son cadavre embaumé,
Couché sur la litière, ira vers les ténèbres,
Dans sa robe suprême à jamais enfermé.
Et la crypte de jaspe engloutissant sa proie,
Au centre du caveau dont le mur flamboiera,
Elle-même, en un flot de velours et de soie,
Blême, les yeux ouverts, sinistre, apparaîtra.
Droite, dans la splendide horreur des pourpres roides,
Le diadème au front, le cercle d’or aux reins,
Elle éternisera sur ses épaules froides
L’écroulement figé des joyaux souverains,
Et, parmi les émaux et les fleurs lapidaires,
Dans l’immobile orgueil du tragique décor,
Siégera, somptueuse, entre deux lampadaires,
Squelette impérial, sur un haut trône d’or.